Nantes la bien chantée : Naviguant dans le port de Nantes
Cette célèbre chanson à virer (chant traditionnel breton) fut recueillie par François Puget auprès de cap-horniers nantais, lors de régates à Trentemoult, vers 1960. Il semblerait qu’il s’agisse de la seule collecte de cette chanson qui est depuis inscrite à l’ordinaire des amateurs de chants de marins. Tonique, amusante et, disons… masculine, elle fait le bonheur des vareuses à poils durs qui entonnent chaque été le long de nos côtes les classiques du répertoire marin.
Nantes, dans le texte
Comme port baleinier, Nantes ne rivalisait certes pas avec Dunkerque ou, surtout, Le Havre, mais abritait tout de même plusieurs sociétés qui avaient fait de cette chasse le marqueur principal de leur activité commerciale. Le sieur Thomas Dobrée lui-même s’aventura, quoique tardivement, dans cette aventure qui, hélas ! n’appartient pas encore tout-à-fait au passé.
La chanson aurait donc tout aussi bien avoir eu pour cadre un autre des grands ports baleiniers français mais c’est Nantes que la tradition populaire a choisie et conservée comme théâtre de ces opérations galantes. Il n’est pas interdit de penser que la parenté évidente avec Jean-François de Nantes ait contribué à motiver ce choix. J’y reviendrai plus loin.
Doubles sens à peine voilés
L’incipit qui sert également de titre à la chanson, n’est pas à prendre forcément au pied de la lettre. Ce marin baleinier a déjà débarqué lorsque l’histoire commence et la navigation dont il est question en tout début de récit doit plutôt être comprise comme une déambulation. Le matelot parcourt les quais en quête de quelque chose… qu’il semble trouver dès le second couplet !
L’essentiel du récit est construit sur le principe du double sens, du jeu de mots et de l’euphémisme. Sous prétexte de goûter goulûment les plaisirs de la table, on comprend vite et bien que c’est bien des plaisirs charnels qu’il s’agit. Cela dit, non seulement il n’y a pas incompatibilité entre les deux exercices mais il est même classique, pour ne pas dire que c’est un stéréotype, d’associer les deux. Cet assemblage épicurien est assez courant dans la chanson de tradition populaire mais aussi dans la littérature et plus encore dans le cinéma.
Au retour de campagne, le marin se sent « la dent creuse et la goule grande ». Autant dire qu’il a grand faim « de tendresse ». On comprend à demi-mots qu’il se rend dans des maisons où la pratique ordinaire est de satisfaire tous les plaisirs et ce marin-là ne fait pas semblant de prendre sa part. Il prétend même s’y adonner toute la nuit et ce n’est qu’au petit matin qu’il avoue « donner de la bande ». Une autre chanson traditionnelle, beaucoup plus franche dans la gauloiserie, utilise l’expression « n’avoir plus d’huile dans la lampe » pour traduire l’épuisement du performeur. Grivois certes, mais non exempt de poésie. Précisons que dans le langage maritime, l’expression « donner de la bande » signifie « gîter » ou « s’incliner » (en parlant du bateau, bien-sûr).
Enfin, pour ce qui concerne le refrain, utilisé dans d’autres chansons du même registre, on peut y voir un autre jeu de mot : « pique la baleine » se rapporte très probablement à un langage érotique, au reste assez voisine de celle utilisée chez les cultivateurs qui adaptent l’euphémisme en « pique dans la raise » ou « pique dans le rayon ».
La cousine de Jean-François
La parenté entre Naviguant dans le port de Nantes et la célébrissime Jean-François de Nantes est évidente. Toutes deux racontent le même genre d’histoire. La même histoire, en fait. À ceci près que la seconde assume davantage le côté sexuel, érotique, voire graveleux dans certaines versions, sans trop s’embarrasser de sens cachés et autres artifices poétiques. À côté de Jean-François de Nantes, celle-ci peut même paraître chaste !
Dans les deux cas, il s’agit bien d’une chanson évoquant « les bordées » de marins de retour de campagne. Au passage, il semble opportun de rappeler une nouvelle fois que le répertoire dit de « chants de marins » ne contient pas que des pièces à brailler dans les tavernes enfumées. L’image d’Épinal à la peau dure mais ne doit pas nous faire oublier que les chansons maritimes comprennent également un abondant répertoire de chansons à danser, de complaintes et de mélodies amoureuses. Les thèmes y sont aussi variés que les formes : chants à danser, chants de travail, chants religieux ou à connotation religieuse, moqueries, etc.
Mais, présentement, il s’agit bien de ce qu’on pourrait nommer un répertoire « de bordée », de fête si vous préférez. Répertoire qui se trouve à des milles nautiques du répertoire de complainte amoureuse comme Eugénie les larmes aux yeux et plus loin encore du répertoire religieux comme La vierge qui sauve les victimes d’un naufrage.
Hugo Aribart
Dastum 44
2023
[Forme]
Naviguant dans le port de Nantes, oula, oula la la
J'ai rencontré la plus charmante
REFRAIN
Pique la baleine, joli baleinier,
Pique la baleine, allons nous coucher.
Chez l'Hôtesse, elle était servante, oula, oula la la
Je mis le cap dessus sa chambre
Elle me dit : qu'est-ce que tu vas prendre
Du vin, du rack, ou bien d' la viande
J' répondis : de tout je demande,
J'ai la dent creuse et la goule grande.
Toute la nuit, j'allais tant qu' ça vente,
Mais au p'tit jour, j' donnai d' la bande.
Mais un jour, pour mieux la reprendre
Bientôt, je reviendrai z’à Nantes.
En savoir plus
Discographie
Cabestan, Cabestan, Le Chasse-Marée, 1984, N° 7
Cabestan, Tempête pour sortir, Keltia Musique, 1995, N° 11
Gabare, Naviguant dans le Port de Nantes, autoproduction, 1999, N° 1
Hercelin Pierrig, Chants des marins Nantais, Le Chasse-Marée, 1994, N° 1
Le XV Marin, En bordée, autoproduction, 1999, N° 2
Marchand Erik, Sélection de chants de marins traditionnels / A, Le Chasse-marée, N° 19
Enregistrement
Jean-Louis Auneau, à Nantes, le 25 mai 2019, d’après une version publiée par Le Chasse-marée
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Rédaction d'article :
Hugo Aribart
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