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Nantes la bien chantée : La fille et les trois dragons


Les récits amoureux peuvent parfois revêtir d’étranges atours et le personnage de l’amoureuse peut aussi parfois se faire le porte-parole d’un féminisme assumé jusqu’à l’incarnation d’une émancipation pleinement revendiquée. En comparaison, les mœurs d’aujourd’hui semblent plutôt celles d’hier…

Nantes, dans le texte

On l’aura remarqué, de nombreuses chansons mentionnant la ville de Nantes le font dès l’incipit : « Dans les prisons de Nantes », « Dessus le pont de Nantes », « Dans la ville de Nantes », « M’en revenant de Nantes », etc. La chanson commentée ici ajoute une nouvelle pierre à ce bel édifice mais force est de préciser que le premier couplet de cette version est assez inhabituel, pour ne pas dire contradictoire avec la suite du récit. Dans la plupart des cas, la chanson commence par la scène conventionnelle de la belle au jardin, telle qu’elle se présente ici au second couplet.

Ces incipits sont représentatifs du stéréotype très courant qui veut que la chanson commence très souvent par localiser le récit. Le contextualiser dans sa géographie, en quelque sorte. Je m’attarderai sur ce point dans une prochaine chronique.

Enlevée et heureuse de son sort

J’ai déjà eu l’occasion d’expliquer la différence entre les chansons utilisant le motif de l’enlèvement et celles utilisant le motif du rapt. Ces deux concepts, si proches qu’ils sont parfois confondus, constituent chacun l’argument principal d’un certain nombre de chansons-type. Si l’héroïne des Trois navires chargés de blé (voir NBC 004) est victime d’un rapt, l’enthousiaste amoureuse qui nous occupe aujourd’hui est quant à elle, non pas victime, mais complice de son enlèvement. Autrement dit, elle n’est pas là où elle est contre son gré. C’est même exactement le contraire et la chanson est entièrement conçue sur un argumentaire dont le but est de prouver l’heureux sort de la belle.

Cette catégorie de chanson consacrée aux enlèvements, la 12e dans le répertoire de Patrice Coirault, contient d’autres types très présents dans les collectes, y compris récentes. Citons, à titres d’exemples, Le jardinier du couvent (Coirault 01203 / Laforte II, C-10) et Celle qui part avec un débauché (Coirault 01220 / Laforte II, C-39).

Si la distinction entre rapt et enlèvement est désormais entendue, le doute subsiste entre le thème de la fuite et celui de l’enlèvement car, dans certains cas, il s’agit bien d’une fuite opérée par la belle et son soupirant, dans le but de se soustraire aux obstacles dressés par leur environnement initial : interdits familiaux, clivages sociaux, menaces diverses, etc. Il est clair que, si Roméo et Juliette avaient pris cette option, leur destin eût été probablement mois funeste.

Dans le cas présent, l’héroïne fuit le domicile familial pour suivre ses trois soupirants, qui rivalisent d’empressement pour satisfaire aux attentes de la belle, laquelle revêt alors les apparences d’une reine entourée de courtisans courbés dans un asservissement volontaire, dans l’attente des faveurs de l’être, sinon aimé, du moins désiré.

Dragons ou mineurs ?

La version interprétée ici est un assemblage de deux versions qui se distinguent essentiellement par la nature des trois galants : dragons dans l’une, mineurs dans l’autre. En réalité, il importe peu qu’il s’agisse de soldats, d’ouvriers ou, pourquoi pas, de colporteurs ou de compagnons. L’idée est de mettre en scène des personnages dont l’itinérance est pour ainsi dire statutaire et constitue un potentiel obstacle – une traverse, dirait Coirault – aux amours de la belle. Il importe également que les serviteurs amoureux soient au nombre de trois, afin de ne pas déroger à la tradition triptyque qui conditionnent bien des éléments de la poésie et de la littérature orale. Confrontée à cet état de fait, la vaillante amoureuse n’a d’autre choix que de suivre son ou ses prétendants, si ce n’est celui de renoncer à leurs galantes intentions, ce dont il ne saurait être question.

En regard de cela, c’est justement le statut de ses trois garçons qui pose problème aux parents, lesquels tentent de raisonner leur fille et la ramener au foyer. Mais même après l’avoir retrouvée, ils sont confrontés au refus de leur enfant qui s’engage dans une explication sur son sort qu’elle estime enviable et leurs supplications restent vaines.

La belle conclut son propos, en forme de rupture avec sa propre famille et par un petit mot amical à l’attention des garçons de son village qui n’ont pas eu la chance – « l’honneur » - de lui plaire. Et bien le bonjour aux péquenots restés au pays !

On aura compris que les trois mineurs de la chanson ne sont pas de ceux qui s’engouffrent dans les entrailles de la terre pour y extraire quelque précieux minerai mais des terrassiers employés à la construction du chemin de fer. Rappelons au passage que, si la  chanson évoque très explicitement l’arrivée du chemin de fer, il serait hasardeux de la dater de cette période car, on l’aura compris, d’autres versions – la plupart, sans doute -, mettent en scène des soldats.

J’aurai l’occasion, au fil de ces chroniques, d’évoquer d’autres amoureuses insoumises, dont certaines n’hésitent pas à se laisser enfermer ou mourir pour ne pas renoncer à leur sentiment.

Hugo Aribart
Dastum 44
2019

Une fille de Nantes, s'en allant promener (bis)
Se promenant, tout doucement, dessous le vert feuillage
Avecque trois jolis dragons proches de l'hermitage

La belle se promène dans son petit jardin
Bien gentiment, bien doucement, tout le long de la rivière
Avec ses trois petits mineurs, mineurs du chemin d’fer

Son père et sa mère, qui l’ont cherchée partout
Ils l’ont cherchée, ils l’ont trouvée, tout le long de la rivière
Avec ses trois petits mineurs, mineurs du chemin d’fer

Veux-tu venir, ma fille, nous suivre à la maison
Oh non, papa, oh non, maman, je suis fille abandonnée
Avec mes trois petits mineurs, je suis la bien-aimée

Si vous saviez, mon père, comme je suis bien avec eux
L’un coupe mon pain, l’autre tire mon vin et l’autre me verse à boire
Tous les trois lèveront la main : mignonne, voulez-vous boire

Encore mieux le dimanche quand j’suis à la maison
L’un fait mon lit, l’autre babille et l’autre chauffe ma chemise
Tous les trois frisent mes cheveux à la mode de la ville

Quand vous serez, mon père, de r’tour à la maison
Vous f’rez bien tous mes compliments à mes amis, à mes parents, aux jeunes gens du village
A ceux qui n’ont pas eu l’honneur d’avoir mon cœur en gage.

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En savoir plus

Bibliographie

Coirault Patrice, Répertoire des chansons françaises de tradition orale, ouvrage révisé et complété par Georges Delarue, Yvette Fédoroff, Simone Wallon et Marlène Belly (Paris, Bibliothèque nationale de France, 1996-2006, 3 volumes)
La fille chez les trois dragons (Enlèvements - N° 01215)

Laforte Conrad, Le catalogue de la chanson folklorique française, Québec, Presses de l’université de Laval, 1977-1987, 6 volumes
La fille et les trois soldats (II, M-14)

D’Indy Vincent, Chansons populaires du Vivarais, Paris, Durand, [1900]-1936

Guériff Fernand, Le trésor des chansons populaires recueillies en pays de Guérande, volume 1, Le Pouliguen, Atelier Jean-Marie Pierre, 1983, page 15

Enregistrement

Martine Lehuédé, à Nantes le 14 juin 2019, d’après la version recueilli par Gaston Le Floc’h à Prézégat en Saint-Nazaire (44), date inconnue, et celle recueillie par Vincent d'Indy (p.94)

Pages liées

Les trois navires chargés de blé

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Nantes dans la chanson

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Rédaction d'article :

Hugo Aribart

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