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Immeubles de l’île Feydeau


Plus de 40 ans ont été nécessaires pour élever les immeubles de l’île Feydeau. L’architecture de ces demeures de prestige destinées à la fois à la location, au logement des maîtres de maison et au travail, illustre le rang social élevé de leur propriétaire.

Un projet financé par et pour les grandes fortunes de Nantes

À la faveur d’un développement économique florissant lié au commerce maritime et à la traite atlantique, la ville de Nantes se métamorphose au 18e siècle. L’un des principaux acteurs de cette modernisation est l’un de ses maires, Gérard Mellier. En 1709, il est l’auteur d’un traité de voirie dans lequel il évoque son expérience de grand voyer de Bretagne, office qui le désigne responsable des questions d’urbanisme de cette province du royaume de France. De cette expérience, il tire un certain nombre de principes modernes à suivre pour embellir une ville. Selon l’officier royal, il est nécessaire que les bâtiments soient construits en ligne droite et sans saillie, « de manière qu’une rue entière ne paraisse qu’une maison ».

En 1720, Gérard Mellier est élu maire de Nantes. L’édile souhaite étendre la ville dans ses faubourgs, hors de son enceinte médiévale. Il obtient l’autorisation du roi d’aménager les grèves de la Saulzaie, îlot situé face à l’entrée sud de Nantes et aménagé seulement dans sa partie orientale. La municipalité nantaise ayant déjà engagé d’importantes dépenses dans d’autres projets urbains, ce nouveau quartier sera financé par des fonds privés et selon les plans de l’architecte de la ville Jacques Goubert.

Une compagnie de 24 actionnaires fortunés, pour la grande majorité des négociants et armateurs, est constituée pour financer ce projet. Il est prévu que chacun se voit attribué une parcelle, une fois les terrains sablonneux et meubles rendus constructibles.

Les contraintes architecturales imposées aux propriétaires

Goubert conçoit ce projet urbain comme un projet unitaire dont les immeubles doivent avoir des caractéristiques identiques, dans la lignée des principes édictés par Gérard Mellier :
• Être traversants : une façade donne sur les quais de Loire au nord ou au sud de l’île, et l’autre sur la future rue centrale (actuelle rue Kervégan),
• Utiliser les mêmes matériaux de construction,
• Être dotés de façades sobres et identiques à cinq travées,
• Avoir la même hauteur pour chaque étage,
• La balcon du premier étage doit être la seule saillie autorisée sur la voie publique.

Il est prévu que ces immeubles de rapport, destinés au moins en partie à la location, servent à l’habitat et aux activités économiques des négociants. Ainsi, les plans de Goubert prévoient des magasins en rez-de-chaussée et un entresol pouvant servir de bureau, d’appartement ou encore de lieu de rassemblement pour les marchands, deux étages d’habitation et un étage sous comble.

L’ingénieur-architecte Garsay de Dambois travaille pour sa part sur la distribution des pièces à l’intérieur des immeubles. Mais ses propositions seront finalement peu suivies, à l’exception par exemple de l’organisation en deux immeubles indépendants bâtis autour d’une cour centrale commune. En construisant ainsi deux biens pour des propriétaires différents sur une même parcelle, chacune des demeures bénéficie d’une cour plus grande. De plan carré, les cours de l’île Feydeau jouent un rôle important dans la circulation des personnes et l’éclairage. Elles participent également à magnifier les lieux. Des tourelles en saillie donnant sur ces cours sont parfois construites en symétrie afin d’abriter un escalier et des latrines pour chacun des immeubles.

La rupture de 1743

Face aux difficultés rencontrées lors des travaux pour stabiliser le terrain à construire, le projet de Goubert est modifié et amélioré. Les immeubles ne sont finalement pas construits sur pilotis mais sur des grilles en bois imputrescible afin de garantir la stabilité des fondations. Les coûts énormes résultants de ces lourds travaux ont poussé la majorité des actionnaires à vendre leur terrain avant même d’avoir pu faire construire leur immeuble. Ainsi, en 1745, seuls deux demeures ont été finalisées : les immeubles Charron (1740) et Valleton (1741). Mais déjà, ces lots présentent de nettes différences architecturales avec les plans de Goubert.

En 1743, un arrêt pris en conseil du Roi libère les nouveaux propriétaires des contraintes imposées par Jacques Goubert quant à la hauteur des maisons, le nombre d’étages et de travées et la décoration. Ils sont tenus de respecter uniquement le plan d’urbanisme. C’est à partir de cette décision que le nombre de constructions s’accélère. La composition et les décors des façades se font plus variés et exubérants. La variété des structures architecturales et des éléments sculptés permettent aux demeures de se singulariser les unes par rapport aux autres.

Des immeubles à l’architecture variée

Les matériaux utilisés pour la construction des immeubles de l’île Feydeau sont principalement le granit en soubassement et le tuffeau de la Mammonière (près de Montsoreau) en élévation. Le bois est également exploité ponctuellement pour les charpentes et certains accès, comme des escaliers ou coursives. Outre le fait de limiter la propagation du feu en cas d’incendie, la pierre possède l’avantage d’être plus résistante que le bois et ainsi de faciliter la construction en hauteur.

Il n’est plus question de limiter les saillies aux seuls balcons du premier étage ; celles-ci se multiplient, brisant la régularité du profil du lotissement. Les architectes reprennent des éléments du style classique (ordres, pilastres, frontons, etc.), sans pour autant en suivre avec rigueur les principes académiques.

Les baies (ouvertures) sont surmontées de mascarons et de couronnements aux décors variés qui permettent de comprendre la fonction de chaque étage depuis l’extérieur. Ainsi, l’étage noble, aménagé au premier niveau, se démarque par sa hauteur, la richesse de ses décors et ses larges baies. Il abrite habituellement les appartements du propriétaire de l’immeuble, bien que sur l’île Feydeau il soit aussi parfois loué dans une logique de rentabilité économique. Les étages supérieurs sont quant à eux généralement moins élevés et décorés. Le nombre d’étages n’étant limité par aucun règlement, il varie d’un hôtel à un autre. Cette liberté d’action permet aux propriétaires de rentabiliser leur investissement en construisant en hauteur.

Enfin, les immeubles de l’île Feydeau se démarque aussi par les décors de pierre taillés en courbe et les ferronneries finement ouvragées, typiques du rocaille parisien des années 1735-1755.

Dans les années 1770, le néo-classique impose la sobriété des façades des demeures construites à cette période.

L’escalier est un élément central dans la composition de ces immeubles de prestige. Ils permettent aux habitants et visiteurs d’accéder aux différents étages. Leur disposition varie, en fonction notamment de la taille du parcellaire. Il existe différents types d’escaliers sur l’île Feydeau :
• Les escaliers d’honneur : ils sont réservés aux maîtres de maison et à leurs visiteurs,
• Les escaliers secondaires : répandus dans les immeubles de rapport destinés à la location, ils permettent aux locataires d’accéder à leur logement. Ces ouvrages jouent un rôle crucial dans la hiérarchisation des espaces et des occupants de l’immeuble, habités bien souvent par des personnes issues de rangs sociaux très divers. Moins visibles et prestigieux, ils sont situés le plus souvent en fond de cour. Certains d’entre eux sont spécialement conçus pour faciliter les déplacements des domestiques.

La distribution des pièces

La distribution des pièces à l’intérieur même des immeubles varient d’une demeure à l’autre, notamment en fonction de leur taille. Ces maisons de prestige possèdent cependant un certain nombre de points communs. Les espaces se divisent selon l’usage des pièces qui les composent. Ainsi, on y retrouve des espaces réservés à la représentation sociale et à la réception des invités des maîtres de maison, ainsi que d’autres servant aux activités domestiques et privées. Les antichambres sont également omniprésentes dans les demeures de l’île Feydeau. Ces pièces de transition donne accès aux salles de réception et peuvent notamment être convertie en salle à manger.

Les espaces de réception sont constitués de salles à manger, salons de compagnie, chambres et cabinets. Chaque élément présent dans ces espaces est pensé pour illustrer le statut social élevé des propriétaires et impressionner leurs invités. Ces pièces d’honneur, richement décorées, donnent pour la plupart sur les quais et la Loire. Alignées les unes par rapport aux autres, elles forment des enfilades dont la longueur traduit la richesse des propriétaires. Les parquets en chêne, acajou, cèdre ou autres essences de bois exotiques, ornés de motifs plus ou moins travaillés, recouvrent les sols. Peints en blanc, les plafonds en plâtre sont décorés de reliefs en staff. Lambris sculptés et peints dans des teintes pastel, cheminées en marbre et consoles sont autant d’éléments décoratifs qui magnifient les salles de réception. Les miroirs, placés vis-à-vis les uns des autres, réfléchissent la lumière et donnent l’illusion de pièces plus grandes.

Enfin, les espaces privés sont réservés aux chambres à coucher et aux cabinets. Ces pièces de plus petite taille sont situées côté cour, à proximité des espaces réservés aux domestiques. Les cuisines sont présentes dans tous les immeubles de l’île Feydeau. Elles sont reliées aux pièces privées et aux salles de réception par un corridor afin de faciliter le service.

Noémie Boulay
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes/Nantes Métropole
2023

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En savoir plus

Bibliographie

Lelièvre Pierre, Nantes au XVIIIe siècle. Urbanisme et architecte, Picard, 1988

Rousteau-Chambon Hélène, Márquez Gómez María del Carmen, L’architecture privée à Nantes au XVIIIe siècle. Demeures de prestige, Presse Universitaire de Rennes, 2023

Service régional de l’Inventaire des Pays de la Loire, L’île Feydeau, Association pour le Développement de l’Inventaire Général des Pays de la Loire, 1992

Pages liées

Dossier Feydeau

Gérard Mellier (Lyon, 1674 - Nantes, 1729)

À la découverte des "Maisons" de l'Ile Feydeau

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Immeuble Lotissement Négociant et marchand Plan d'embellissement

Contributeurs

Rédaction d'article :

Noémie Boulay

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