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Famines


Depuis le 18e siècle très probablement, aucun Nantais, résident ou de passage, n’est mort de faim et, en tout cas, la ville n’a pas connu de mortalité collective due à la faim, de famine donc.

La « marche de la faim » de milliers de chômeurs nazairiens qui entrent à Nantes le 28 juin 1933 évoque plutôt celle des femmes de Paris marchant sur Versailles les 5 et 6 octobre 1789 : l’immense cri de détresse d’une population cependant encore capable de manifester. La famine est donc totalement sortie de la mémoire nantaise, et occupe peu de place dans l’historiographie de la ville, alors qu’elle a obsédé les édiles pendant deux siècles et suscité des scènes dignes des pires images laissées par l’actualité africaine du dernier demi-siècle.

« Les pauvres mouraient de faim par les rues et chemins et en leurs maisons, et étaient en telle nécessité qu’ils rompaient et perçaient les murailles, maisons et édifices pour recouvrer du pain », et, parmi ceux qui bénéficient d’un secours, « plusieurs mouraient après qu’ils avaient mangé, pour ce que […] ils avaient les boyaux étrécis » : ce témoignage local sur la famine de 1532, crédible puisqu’il émane d’un administrateur de l’hôpital, rejoint les multiples mentions de « pauvres morts de faim ». Encore faut-il concrétiser ces abstractions : les cadavres squelettiques relevés dans la rue, les ventres gonflés… Les mettre en contexte aussi : le roi François Ier et le dauphin et duc de Bretagne François III font leur « joyeuse entrée », en août 1532, dans une ville qui connaît cette année-là la plus terrible famine de son histoire, et le roi Henri IV signe l’édit de Nantes, le 30 avril 1598, dans un environnement à peine moins tragique.

Entre 1531 et 1663, la ville connaît cinq grandes famines – une par génération donc – et une dizaine de graves disettes qui entraînent moins de pertes humaines mais entretiennent la hantise de la faim. L’explication est simple : à la différence du reste de la Bretagne, le Pays nantais est structurellement déficitaire sur le plan vivrier, et dès lors à la merci des mauvaises récoltes entraînées par l’excès de pluie ou, parfois, l’extrême rigueur de l’hiver ou du printemps. Mais la famine ne fait de victimes que chez les pauvres, ce qui montre bien que ses mécanismes fondamentaux sont d’ordre social : la cherté des blés, accentuée par une spéculation débridée, affecte certes la trésorerie des catégories moyennes, mais touche de plein fouet ceux qui ne disposent d’aucune réserve financière et basculent ainsi brutalement dans la mendicité : en 1546 par exemple, la Ville est censée assister entre 10 000 et 12 000 personnes, l’équivalent de plus de la moitié de sa population ordinaire, le nombre des victimes de la faim étant fortement gonflé par l’afflux des pauvres venus des campagnes en espérant trouver en ville des secours.

Extrait dun récit sur la famine

Extrait dun récit sur la famine

Date du document : 1532

Même s’ils dépensent bien plus pour accueillir François Ier que pour toute l’assistance aux victimes de la famine de 1532, les édiles ne restent pas indifférents, stimulés par la crainte des émeutes de la faim qui, si elles ne se concrétisent jamais à Nantes, sont suffisamment fréquentes ailleurs pour inquiéter la Ville. Mais les mesures techniques ne peuvent régler la question fondamentale de la pauvreté : pressions pour obtenir du Parlement de Bretagne l’interdiction des exportations de grains hors de la province, recherche et organisation des importations (jusqu’en Pologne au 17e siècle), passation de marchés avec des professionnels, distributions-ventes à prix coûtant, tout cela est lent à mettre en place et ne profite qu’à celles et ceux qui disposent encore d’un peu d’argent. Et les égoïsmes jouent aussi : autant les réactions sont promptes face à des épidémies qui menacent tout le monde, autant la mobilisation est lente face à la famine, pourtant toujours prévisible : en 1630 ainsi, la Ville est avisée dès le début avril de la probabilité de la catastrophe, mais n’adopte les premières mesures en faveur des pauvres que le 31 octobre.

La disparition des famines à la fin du 17e siècle, grâce notamment au passage à l’échelle réellement européenne des échanges maritimes, est donc un des signes de l’entrée de Nantes dans la modernité économique. Commerce antillais, traite négrière et bientôt industrialisation introduisent la ville dans un type de rapports sociaux où les inégalités ont des conséquences moins spectaculaires et moins brutales. Mais, entre la fin du 15e siècle au moins et la fin du 17e siècle, tous les habitants de la ville ont vu les « pauvres mourant de faim», au sens littéral : l’essor et l’éclat de la ville du 18e siècle, leur célébration aussi, sont peut-être des manières d’oublier ces deux siècles d’horreurs.

Alain Croix
Extrait du Dictionnaire de Nantes
2018
(droits d'auteur réservés)

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