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Contre-révolutionnaires à Belle-Isle


Il est surprenant que l’Histoire ne nous ait pas transmis le souvenir de la glorieuse bataille navale du 28 avril 1792, sur l’Erdre, à deux pas de notre quartier Belle-Isle. À cette époque, c’est un petit manoir, dont il restait encore les vestiges du porche, il y a quelques années, près du château de l’Éraudière ; un châtaignier millénaire dit-on ; et deux moulins à vent « tournant et virant » au Port-Durand, au-dessus des ponts de la Jonelière.

L’Erdre, alors, avait un niveau un peu supérieur à celui d’aujourd’hui, réglé par les meuniers du barrage de la Chaussée de Barbin ; les seigneurs du Pont-Hus, près de Petit-Mars, étaient en perpétuel procès avec les meuniers nantais, accusés de garder trop d’eau en amont de la Chaussée, ce qui inondait les pelouses du Pont-Hus.

Le contexte historique

Situons l’événement : en 1789, des compagnies de Volontaires se forment dans les villes de l’Ouest, puis dans toute la France. En 1791, ils sont 100 000, pas toujours des modèles de discipline. 

Dans la région nantaise, l’atmosphère s’alourdit ; au printemps 1791, les curés réfractaires ont dû laisser la place à des prêtres assermentés ; la campagne s’agite. Louis XVI  a été arrêté à Varennes en s’enfuyant à l’étranger. Début 1792, on commence à arrêter les prêtres réfractaires. La guerre est déclarée au roi d’Autriche. La ville, révolutionnaire, s’oppose à la campagne, restée royaliste. Passer Saint-Donatien, pour un « bleu », c’est entrer en territoire ennemi.

 <i> Retour de régates sur l'Erdre </i>  , détail

  Retour de régates sur l'Erdre   , détail

Date du document : 19e siècle

Le déroulement des événements

Le 28 avril 1792, an 4 de la Liberté (l’An I, ce sera pour la fin de l’année), quatre Volontaires du 4e Bataillon de la Loire-Inférieure viennent se plaindre à la Municipalité. Avec quatre amis civils, ils avaient emprunté un bateau « pour se récréer sur la rivière de Barbin » qu’ils avaient remontée jusqu’à Belle-Isle. Ils étaient en uniforme et arboraient, à l’arrière du canot, « le ruban civique placé sur une branche d’ébeaupin ». Au retour, « une soixantaine de personnes tant hommes que femmes qui étaient dans un bateau appelé Santine a eux inconnus ont crié sur eux sur l’air ça ira Citoyen à la lanterne ; ayant méprisé cette insulte et continué leur route, il leur a été jeté plusieurs pierres par ces gens sans les atteindre ».

L’ennemi reçoit bientôt du renfort : « un autre bateau qui remontait la rivière est arrivé à eux dedans lesquels étaient environ le même nombre de personnes que dans le premier », apparemment des « marchands de denrées ».

Nos volontaires proclament alors qu’ils ne sont pas « aristocrates » : c’était ce qu’il ne fallait pas dire ! Les insultes redoublent : « Nous pendrons ces démocrates, ces B… ». On les menace de piques, de gaffes. Et c’est l’abordage : le sergent Pierre-Marie Laisné bondit à l’arrière du vaisseau ennemi ; on lui arrache sa cocarde, on lui déchire sa chemise ; il est sur le point d’être jeté à l’eau. Le Volontaire Chardonneau est terriblement blessé : il a reçu un « très fort coup de gaffe à la tête, près de l’œil gauche ». Après un violent échange de horions, c’est la victoire des Bleus, assurent ces derniers : « Étant parvenus à les désarmer et à repousser leurs menaces, [nos Volontaires] se sont embarqués après leur avoir fait reconnaître leur tort et crié Vive la Nation ».

Dans la soirée, nos héros vont faire leur déclaration à la Municipalité et déposer leurs prises de guerre : « un mauvais chapeau » et « deux jalons qui se sont trouvés dans leur canot après la risque ». Ils ne semblent pas avoir la conscience tranquille, pourtant : « ils ont pu dans le choc donner eux-mêmes quelques coups de poing, de plat de sabre et d’aviron à quelques-uns de ces particuliers, mais ce n’a été que pour les désarmer…, que pour l’insulte faite à l’habit de la Garde Nationale et au ruban civique qu’ils avaient arboré ». S’ils viennent se plaindre, c’est « pour prévenir l’inculpation qui pourrait être faite contre eux. »

Ce ne serait pas la première fois que la population aurait à se plaindre de leur comportement tumultueux. Ils auront bientôt d’autres occasions de dépenser leur ardeur : les uns partiront « rétablir l’ordre » à Saint-Domingue ou en Vendée, défendre la frontière des Pyrénées ; d’autres participeront à la défense de Nantes assiégée, en 1793.

Louis Le Bail
2018

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