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Teinturerie Brunet Ancienne école de Saint-Joseph-de-Porterie

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Camille Urso (1840-1902)


Née à Nantes en 1840, Camille Urso s’est battue, très jeune, pour jouer du violon à une époque où l’on interdisait tacitement aux femmes de le faire. Cette musicienne a exporté son jeu virtuose aux quatre coins du globe.

Son génie a irradié dans le monde entier. Pourtant, Camille Urso est oubliée de tous ou presque aujourd’hui… Elle est venue au monde à Nantes, dans une famille d’artistes. Son père Salvatore, un flûtiste d’origine sicilienne, travaille à l’opéra Graslin et est également organiste à l’église Sainte-Cécile. Sa mère, Émilie, chanteuse, évolue dans les chœurs de ce même édifice. Leurs qualités d’interprète sont d’ailleurs déjà évoquées par les journaux locaux notamment le National de l’Ouest, avant même que Camille Urso ne décide de suivre leur traces. « Madame Urso, dont beaucoup de jeunes gens recherchent les leçons, conduit sa voix avec beaucoup de méthode, sait donner de l’expression, de la variété et vocalise avec beaucoup de facilité » mentionne ce quotidien concernant Émilie en novembre 1844. « Ce dernier tire de sa flûte des sons d’une douceur et d’une flexibilité exquises. Et nous doutons que Paris ait beaucoup de joueurs de flûte qui rivalisent avec celui-ci. Ainsi, pendant que Nantes s’engoue parfois follement d’artistes qui ne font que passer, il oublie en son sein les artistes d’un mérite tel que Monsieur Urso » écrit-il à propos de Salvatore en 1847.

Une vocation très précoce

Bon sang ne saurait mentir. Alors qu’elle n’a que sept ans, Camille Urso exprime le souhait de s’initier au violon. Si le fait qu’une fille s’essaye à cet instrument est très mal vu à l’époque, Félix Simon, premier violon dans l’orchestre du théâtre Graslin, accepte de lui donner des leçons. Après un an et demi de pratique intensive, Camille, huit ans, se produit pour la première fois sur scène en 1849 à Nantes, à l’occasion d’un gala de bienfaisance. Époustouflée par l’aisance de la minuscule musicienne, la presse la couvre de louanges. « Jamais un violoniste n’eut une pose plus exacte, plus ferme et à la fois plus aisée, jamais l’archet ne fut guidé avec plus de précision que par cette petite Urso, dont l’accouchement fit sourire toutes les mamans… Sous ces doigts, qui sont pourtant souvent occupés à habiller une poupée, l’instrument dégage une pureté et une douceur de ton, avec une expression des plus remarquables. Chaque lumière et ombre est observée, et toutes les intentions du compositeur sont fidèlement restituées… Effets de double stop ping, staccato, arpèges rapides, tout est exécuté avec la même précision, la même pureté, la même grâce. Impossible de dépeindre l’ovation qu’a reçue cette enfant », s’exclame l’Alliance le 23 mars.

Portrait de Camille Urso à 11 ans

Portrait de Camille Urso à 11 ans

Date du document : 1853

L’engouement qu’elle suscite à Nantes convainc Salvatore de rejoindre Paris pour entrer au Conservatoire. Après plusieurs mois de tentatives infructueuses où on lui explique que Camille est trop jeune et surtout qu’elle n’a pas le genre requis, il convainc Daniel-François-Esprit Auber, le directeur de cette institution de la laisser tenter le concours d’entrée, qu’elle réussit finalement avec brio. Elle y suit trois ans d’études studieuses, couronnées en 1852 par un troisième accessit en solfège et la même distinction en violon. Pendant sa formation, dès 1850, elle commence en parallèle à donner des concerts en France et à l’étranger. « Partout où elle passe, les éloges fleurissent. Il est rare, en effet de voir exécuter les Airs variés de Bériot par une enfant de cet âge, jouant de mémoire et maniant l’archet avec une bravoure, une précision, une délicatesse qu’envieraient plus d’un artiste confirmé (…). Le talent de Camille Urso fait l’admiration des nombreux connaisseurs qui assistaient à cette réunion », expose L’industriel alsacien le 29 décembre 1850, commentant la venue de Camille à Mulhouse.

L’american way of life de Camille Urso

On parle de plus en plus de Camille Urso dans l’Hexagone ; ce qui lui vaut de se voir proposer une grande série de concerts aux États-Unis en 1852. Mais une fois la traversée effectuée, il s’avère que le producteur de spectacles avec qui Salvatore a conclu un accord est un homme d’affaires peu fiable. La tournée promise n’a donc pas lieu mais la réputation de Camille, qui est amenée à faire des récitals dans certaines demeures privées de New-York, fait rapidement tache d’huile. Deux cantatrices-vedettes de l’époque la recrutent, l’Italienne Marietta Alboni et l’Allemande Henriette Sontag afin qu’elle les accompagne sur scène. Là aussi, les journalistes l’encensent : « Même dans les parties fortissimo, elle paraissait avoir la puissance requise, et la richesse et la plénitude de ses notes contrastaient étrangement avec la délicate fragilité de cette petite maîtresse du violon » s’enthousiasme l’Evening Mirror. En quelques mois, elle devient un véritable phénomène, multipliant les prestations en tant que soliste dans la Grosse Pomme et à Boston. Elle maintient ce tempo survolté jusqu’en 1856, où la fatigue des voyages incessants et un drame personnel – la mort d’Henriette Sontag dont elle était devenue très proche – l’amène à se mettre en retrait.

Portrait de Camille Urso tenant un violon

Portrait de Camille Urso tenant un violon

Date du document :

Le retour gagnant d’une virtuose

Camille Urso renoue professionnellement avec son métier fin 1862, après s’être mariée et être devenue mère. Mais c’est pour accéder à une gloire plus explosive encore. « Cela fait de nombreuses années que cette dame n’a pas comparu devant notre public ; l’intervalle ayant été consacré, comme nous vous en informions, à des activités purement domestiques. Il est maintenant de notre agréable devoir de l’accueillir de nouveau dans le monde de l’art, et de dire qu’elle s’est considérablement améliorée depuis que nous avons eu le plaisir de l’écouter pour la dernière fois », note le New-York Times. Rapidement, elle est réclamée dans tous les États américains mais aussi au Canada, au Mexique, en France. Dans son pays d’origine, elle est amenée à se produire dans l’enceinte-même du Louvre pour un public d’invités triés sur le volet, notamment Alexandre Dumas et Émilien de Nieuwerkerke, sénateur proche de Napoléon III.

Portrait de Camille Urso

Portrait de Camille Urso

Date du document : 1873

En 1869, elle connaît une véritable apothéose dans son parcours d’artiste. À San Francisco, elle est la superstar d’un immense jubilé caritatif donné au profit de la bibliothèque de la ville, qui rassemble 1200 chanteurs et 200 instrumentistes autour d’elle. L’événement s’étale sur cinq jours et rassemble quotidiennement jusqu’à 18 000 personnes. L’exemple de Camille et d’autres pionnières comme Wilma Neruda fait que progressivement, en Amérique comme en Europe, l’apprentissage des instruments à corde est désormais ouvert aux femmes dans les conservatoires et académies, après qu’elles aient été longtemps cantonnées au piano. Camille accumule ensuite les triomphes, bien au-delà de son pays d’adoption. Si elle séduit en Angleterre, terre réputée pour abriter les mélomanes les plus exigeants, Camilla s’aventure également jusqu’aux antipodes, assurant une longue tournée en Australie et en Nouvelle-Zélande à l’orée de 1880. Elle continue à ce rythme pendant plusieurs décennies.

Portrait de Camille Urso

Portrait de Camille Urso

Date du document :

Des engagements militants en faveur de la parité

Une fois franchi le cap de la cinquantaine, Camille Urso éprouve un besoin nouveau : celui de mettre sa notoriété au service des femmes musiciennes, encore très discriminées. Bien qu’elles soient désormais acceptées dans les écoles de musique tous instruments confondus, elles ne trouvent pas leur place ensuite dans les structures professionnelles. Dans cet univers alors très misogyne, on estime qu’elles n’ont ni la résistance physique, ni la force psychologique, et encore moins le talent pour occuper ce type de poste. Et on se persuade que leurs charmes peuvent perturber leurs collègues ! Pour contrer cet état de fait, Camille prononce en 1893 un discours qui fait date au World’s Congress of Representative Women organisé à Chicago dans le cadre de l’Exposition Universelle. Elle y loue les aptitudes des femmes violonistes, déplore leurs vocations sacrifiées sur l’autel du mariage ou des préjugés, prône l’égalité salariale et enfin exhorte les orchestres à les embaucher. « La plupart des très bonnes musiciennes devront rester dans leur foyer, où on leur donne une opportunité, et où elles se réjouiront d’aider leur famille. Pourquoi laisser ce talent disparaître ? ». Elle s’implique également pour leur cause en devenant en 1896 la présidente du Women’s string Orchestra, une formation musicale 100 % féminine, une vraie rareté donc pour l’époque. Elle disparaît en janvier 1902, après une carrière incroyablement riche mais aussi des prises de position tranchées contre le sexisme de son temps. Après Camille Urso, le monde de la musique ne sera donc plus tout à fait comme avant…

Bénédicte Flye Sainte Marie
2022

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En savoir plus

Bibliographie

Flye Sainte Marie Bénédicte, Je suis née au son du violon, Infimes, 2023

Kagan Susan, « Camilla Urso: A Nineteenth-Century Violinist’s View », Signs, Vol. 2, No. 3, The University of Chicago Press, Spring, 1977,  p. 727-734

Nagel-Frazel Maeve, Frazier Meyer, Banducci Antonia, Making the Violin Fashionable: Gender and Virtuosity in the Life of Camilla Urso, Student Contributor, University of Denver, Advisor, Lamont School of Music, University of Denver, 2020

Schiller Jennifer, Camilla Urso: Pioneer Violinist (1840-1902), University of Kentucky, 2006

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Rédaction d'article :

Bénédicte Flye Sainte Marie

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