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Calvaire de l’église Saint-Félix par Raymond Delamarre


Le 3 mai 1956, Monseigneur Villepelet, évêque de Nantes, procède à la bénédiction d’un grand calvaire dans le chœur de l’église Saint-Félix. Il s’agit d’une œuvre commandée au sculpteur parisien Raymond Delamarre.

L’extension de l’église Saint-Félix en 1953

Cette cérémonie célèbre également l’achèvement des travaux d’extension et de modification de l’église Saint-Félix, menés par Jean Liberge et son fils Yves, architectes. La première église Saint-Félix est élevée en 1843 par l’architecte Charles de Raimond. Elle est agrandie de 1950 à 1953 ; la pose de la première pierre de reconstruction étant assurée par le chanoine Gourhand le 24 juin 1949.

Le monument agrandi et modifié est consacré le 20 juin 1953, et sa décoration intérieure intégralement revue. Un nouvel orgue de Joseph Beuchet est installé au-dessus du portail d'entrée et Gabriel Loire signe la série de nouveaux vitraux. Enfin, un groupe sculpté représentant une Crucifixion est commandé à Raymond Delamarre. Cette œuvre doit se détacher d’une grande mosaïque murale réalisée au fond du chœur par Gabriel Loire, évoquant la voûte céleste.

Une commande au sculpteur Raymond Delamarre

En 1953, le sculpteur parisien Raymond Delamarre est déjà célèbre pour ses œuvres d’art sacré. Né en 1890 et formé à l’école des Beaux-Arts de Paris, il obtient le Grand Prix de Rome en 1919. Après son séjour italien, il participe aux grandes Expositions internationales de 1925 et 1931. En 1935, il exécute le bas-relief de la salle à manger des premières classes du paquebot Normandie. Lors de l’Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne de 1937, il réalise pour le Palais de Chaillot le groupe sculpté Art et Industrie. Sculpteur et médailleur, son œuvre est principalement commémorative et issue de commandes officielles. Delamarre a produit un grand nombre de bas-reliefs monumentaux sur des édifices publics, comme les bas-reliefs datés de 1933 de La Pensée et l’Action, sur la façade de la mairie annexe du 14e arrondissement de Paris, et le fronton représentant La Justice, sculpté en 1946, qui orne le ministère de la Justice, rue Cambon à Paris. Delamarre conçoit en effet la sculpture comme l’ornement des formes sobres de l’architecture de son époque, aux grands volumes et aux imposantes façades. Il adapte les formes de l’Art déco à la monumentalité des édifices publics. Parallèlement à ses œuvres monumentales, l’artiste est très sensible à l’art religieux. Il dirige de 1961 à 1973 les Ateliers d’Art Sacré, un groupe d’artistes désireux de produire des œuvres religieuses modernes.

C’est Jean Liberge, l’architecte qui coordonne les travaux de rénovation de l’église Saint-Félix, qui l’introduit auprès du diocèse de Nantes. Liberge est alors l’adjoint de Michel Roux-Spitz, en charge de la reconstruction de la ville à la suite des bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Roux-Spitz est un ami de Delamarre ; ils se sont connus à Rome. Delamarre se voit ainsi confier pour Nantes le Calvaire de l’église Saint-Félix, mais également une œuvre monumentale, le fronton de la chapelle du nouvel Hôtel-Dieu de Nantes, qu’il réalise de 1950 à 1963.

Un travail en atelier

Pour la commande du Calvaire, Delamarre choisit un matériau spécifique, l’avodiré. Il s’agit d’un bois clair d’Afrique tropicale, que l’on trouve principalement en Côte d’Ivoire. Ce bois précieux est apprécié des ébénistes et des artistes pour son rendu d’un blanc crémeux, tendre, au grain très fin. Delamarre choisit de conserver son aspect brut, sans patine ni coloration.
Après avoir commandé et reçu les pièces de bois, il s’attelle au travail au sein de son atelier parisien du 15e arrondissement de Paris, entre 1953 et 1956. Pour cela, il réalise tout d’abord de petites esquisses en argile d’une vingtaine de centimètres. Elles lui permettent de traduire une intention : le dessin initial d’un grand Christ en croix, entouré de la Vierge et de saint Jean. Les figurines d’argile déterminent le placement des personnages, la position des mains, l’inclinaison d’une tête… Il s’agit pour l’artiste de sentir comment va s’articuler le calvaire, comment vont communiquer les trois éléments ensemble, et comment ils se détacheront de la mosaïque du chœur conçue par Gabriel Loire. Les deux artistes vont correspondre afin de coordonner leurs travaux. La tâche est aisée car ils se connaissent bien : ils ont déjà réalisé ensemble, entre 1934 et 1935, le décor d’une chapelle funéraire privée au Gault-Saint-Denis en Eure-et-Loir, et un monument dédié à la Vierge à Saint-Amand-sur-Sèvre en 1938.

Ensuite, Delamarre exécute des modèles en plâtre, qui sont généralement présentés au commanditaire afin de valider l’intention et d’acter le passage à l’étape finale de réalisation. Certains de ces modèles sont aujourd’hui conservés au musée d’histoire de Nantes, à la suite d’une donation des descendants de l’artiste en 2014.

Une fois l’intention validée, le sculpteur amorce le travail de taille directe, au ciseau, avec l’aide de praticiens. Pour cela, il utilise la mise au point au compas, qui permet de reporter les proportions du modèle d’étude vers la pièce finale.

L’œuvre finale présente un long Christ, aux bras étendus, aux muscles contractés et aux mains écartées par les clous. Son visage très émacié est particulièrement expressif. Delamarre rompt ici avec le style qui a fait son succès avant-guerre. En effet, dans la mouvance de l’Art déco, le travail du sculpteur était alors reconnaissable par ses visages ronds, aux profils grecs et aux traits idéalisés emprunts d’un paisible hiératisme. Mais ici, la Vierge, drapée dans un lourd manteau, joint ses mains crispées par la douleur. Saint Jean, placé légèrement plus bas – pour une raison symbolique, mais également pour assurer l’harmonie de l’ensemble – ouvre les bras en geste d’étonnement. Ce style plus expressif est appuyé par l’aspect brut du bois, non patiné et non verni, comportant les traces des outils du sculpteur, qui a choisi de ne pas poncer la surface de l’œuvre.

L’exposition en l’église Saint-Germain-des-Prés à Paris et l’installation à Nantes en 1956

Une fois terminé, le Calvaire est déplacé pour être exposé à Paris, avant de rejoindre Nantes. Chaque déplacement nécessite une organisation importante, et le recours à des transporteurs spécialisés. En effet, chaque pièce pèse entre 400 et 500 kilogrammes, et le Christ seul mesure 3,25 mètres de haut. Le groupe sculpté est exposé à l’église Saint-Germain-des-Prés à Paris, du 17 au 30 janvier 1956. C’est alors l’occasion pour Raymond Delamarre d’inviter et d’informer son réseau parisien, qui lui adresse des félicitations unanimes.

Le groupe sculpté est ensuite transféré puis installé en l’église Saint-Félix de Nantes le 31 janvier 1956.

Le chanoine Jean-Baptiste Russon, président de la Société archéologique et historique de Nantes et de Loire-Inférieure, est admiratif du travail de l’artiste. Il décrit précisément la scène en 1956, au moment de l’installation dans le chevet : « Raymond Delamarre choisit le moment où le Christ, penchant la tête vers sa mère, lui dit fermement "Femme, voici votre fils". Et, sans doute, son regard désigne saint Jean. On comprend la gravité du visage chez Jésus, au moment où il se donne un remplaçant près de Marie. Celle-ci ne peut retenir un soubresaut, tant elle se sent dans l’inégalité de l’échange : un cousin à la place d’un fils, et surtout, un homme à la place d’un Dieu ».

L’ensemble – calvaire sculpté et mosaïque du chevet – est restauré en décembre 2022, par Delphine Deltombe, mosaïste, et Jeanne Thibaudeau et Pascale Roumégoux, restauratrices de sculptures.

Anne Bouillé
2023

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En savoir plus

Bibliographie

Archives personnelles de Raymond Delamarre, mises à disposition par sa famille

Bouillé Anne, « L’entrée en collection de 50 esquisses de Raymond Delamarre », Bulletin de la Société Archéologique et Historique de Nantes et de Loire-Atlantique, Tome 150, 2015, pages 41-58

Delamarre Jean-François, « Chapelle de l’hôpital : l’entrée au musée », Place Publique, n°44, mars-avril 2014, pages 88-91

Haurie Béatrice, Les monuments publics de Raymond Delamarre (1890-1986), thèse de doctorat en Histoire de l’art, Université de Toulouse II Le Mirail, 2012

Rinuy Paul-Louis, « La sculpture dans la "Querelle de l’Art Sacré" (1950-1960) », Histoire de l’art, n° 28, 1994, pages 3-16

Vedrenne Elisabeth, « La fin d’un66 atelier », Beaux-Arts magazine, n°121, mars 1994, pages 75-79

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Décor architectural Hauts Pavés - Saint Félix Objet et mobilier religieux Sculpture Église

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Rédaction d'article :

Anne Bouillé

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