Avril-juin 1991 : Bomb’art, la première exposition graffiti organisée par une institution culturelle en France
Au printemps 1991, Nantes accueille la première exposition consacrée au graffiti de France. Organisée dans l’actuel Espace Cosmopolis par Patricia Solini, elle réunit 20 graffeurs. Son succès révèle l’intérêt du public pour l’art urbain.
Un intérêt nouveau pour l’art urbain
En novembre 1990, Patricia Solini est recrutée pour diriger l’Espace Graslin, actuellement l’Espace Cosmopolis, nouvellement mis à disposition du Centre de Recherches pour le Développement Culturel (CRDC) par la Ville de Nantes. Peu après, elle découvre un article dans Libération concernant la nouvelle Unité de Valeur (UV) Hip-Hop dispensée à l’Université Paris 8. Patricia Solini est particulièrement intriguée par les graffeurs qui performent à l’Université et par ce nouveau mouvement culturel qui semble passionner les jeunes. Elle se rend sur place pour rencontrer les professeurs chargés de ce projet novateur. Après avoir découvert le foisonnement artistique en marche à Paris, Patricia Solini décide que la première exposition de l’Espace Graslin sera dédiée au graffiti. Elle organise un second déplacement dans le but de solliciter des graffeurs. Le projet s’enclenche, une annonce est passée à Paris 8 pour organiser des entretiens. Durant 2 jours, environ 60 candidats se présentent à Patricia munis de leurs « press books ». À l'issue de ces rencontres, 20 graffeurs sont sélectionnés pour participer à l’exposition nantaise.
La sélection est variée et rassemble aussi bien des graffeurs expérimentés déjà exposés que des acteurs œuvrant dans l’ombre de manière illégale. Certains comme JonOne et André deviennent au cours des décennies suivantes des grands noms de l’art urbain. D’autres sont plus jeunes et sortent d’Île-de-France pour la première fois de leur vie. Pour tous, c’est une expérience unique de prendre part à un projet valorisant leur culture et permettant les connexions artistiques.
Affiche de l’exposition Bomb’art
Date du document : 1991
Une résidence construite avec les artistes
Tous les frais sont pris en charge. La résidence artistique dure quatre jours durant lesquels les graffeurs sont invités à peindre directement sur les murs de l’Espace Graslin. Initialement, Patricia Solini élabore un plan d’installation mais les artistes suggèrent des modifications qu’elle prend en compte. Comme dans la rue, une hiérarchisation s'opère en fonction des places disponibles et de la notoriété des graffeurs. La semaine est studieuse et chacun se sent investi d’une mission de valorisation de la pratique du graffiti dans un lieu culturel. Les artistes se disent encore aujourd'hui reconnaissants de l'environnement de travail qui leur a été proposé.
Résidence artistique de l’exposition Bomb’art
Date du document : 1991
Les œuvres présentées sont multiples. Certains ont apporté des toiles, d’autres peignent de grandes peintures murales. On constate que l’on retrouve très peu de lettrage dans les propositions. Les artistes interrogés soulignent le besoin de démontrer leurs compétences artistiques pluridisciplinaires. De plus, pour les puristes, le graffiti est une pratique de rue que la plupart ne souhaite pas transposer sur toile. En écho, Patricia Solini propose d’installer des structures en bois sur la façade du lieu d’exposition pour rappeler les palissades de chantier du Louvre et de Beaubourg. Scénographie à part entière, ces palissades représentent un excellent support de communication et un bon moyen de mettre à l’honneur le graffiti.
Vue de l’exposition Bomb’art
Date du document : 1991
Un succès sans appel
Le vernissage se tient le 29 mars 1991 et le succès est énorme. Le public, varié et de tous les âges, attend pendant des heures pour découvrir cette proposition inédite. Pour l'occasion, trois graffeurs peignent directement sur des bidons installés dans l’espace quelques heures avant l’inauguration. La soirée se prolonge ensuite aux Salons Mauduit pour un « Marathon rap » organisé par une association locale. C’est un tel succès que l’exposition, qui devait initialement durer un mois, sera prolongée deux fois, d’abord jusqu’au 26 mai pour finalement se terminer le 2 juin 1991. Au total, ce sont 10 000 visiteurs qui ont découvert en exclusivité la scène naissante des artistes issus de la scène graffiti français.
Vernissage de l’exposition Bomb’art, le 29 mars 1991
Date du document : 29/03/1991
Une mise en lumière du graffiti par les médias
Parmi les éléments collectés dans le cadre de cette recherche, l’un des plus importants est sans nul doute la revue de presse. Rassemblés dans un document de 77 pages, les articles de presse et autres références sont autant d’éléments permettant d’analyser l’impact de cette exposition que la manière dont les médias de l’époque voient le monde du graffiti. En avril 1991, L’Humanité Dimanche titre « Art ou Brouillon de culture ? ». C’est dire si le travail d’acceptation de l’art urbain n’en est qu’à ses débuts. Au total, 60 références dans les médias sont enregistrées. La couverture nationale est impressionnante avec 25 articles ou brèves. La presse locale est également enthousiaste, Ouest France et Presse Océan publient 12 articles. L’exposition est valorisée au Journal de 20h sur Antenne 2. Grâce à cette médiatisation, de nombreux artistes seront ensuite invités à parler de leurs projets dans la presse et certains développeront leur carrière.
Avec cette exposition, Nantes se place sur la carte des villes précurseuses en matière de diffusion culturelle. Aujourd'hui la scène locale est très diversifiée et composée d’anciens et de jeunes artistes tous unis par l’amour de la peinture dans la rue. Nul doute qu’une telle exposition accompagnée d’une politique locale forte ont permis l’essor du mouvement dans la région nantaise et au-delà.
Sarah Marouani
Plus de Couleurs
2025
En savoir plus
Webographie
Centre national des archives numériques de l’art urbain
Reportage sur la naissance du cours de culture hip hop à l’Université Paris 8
Site internet de l'association Plus de couleurs
Pages liées
Tags
Contributeurs
Rédaction d'article :
Sarah Marouani
Vous aimerez aussi
Le 12 février 1879, une motrice à air comprimé emprunte la ligne Doulon-Gare maritime et remplace les omnibus hippomobiles inventés en 1826 par Stanislas Baudry. Par ce choix, Nantes...
Contributeur(s) :André Péron
Date de publication : 18/02/2019
8737
Compagnie des Indes
Société et cultureNantes ne s’intéresse guère à la Compagnie des Indes orientales fondée par Colbert en août 1664, avec monopole d’État sur le commerce dans l’océan Indien. Même si la désignation de...
Contributeur(s) :Guy Saupin
Date de publication : 11/05/2020
5268
Savonneries
Architecture et urbanismeEn 2006, la savonnerie Bernard, située à Rezé et née en 1941, est rachetée par trois salariés de l’entreprise qui fondent la Savonnerie de l’Atlantique. Avec 44 salariés et une production...
Contributeur(s) :Emmanuelle Dutertre
Date de publication : 19/05/2021
2853