Bandeau
Cinéma Bonne Garde Charlotte et Charles Fuller

105

Nantes la bien chantée : Chanson des Sœurs Amadou


Les Sœurs Amadou ont durablement marqué l’imaginaire nantais de leur souvenir, fût-il quelque peu idéalisé par l’idée exagérément optimiste et un rien condescendante de deux personnes dont il convient de rappeler qu’elles furent réduites à la misère jusqu’à devoir vivre de mendicité. Au-delà de l’imaginaire nantais, on peut également parler de « l’imagerie nantaise », largement alimentée par les œuvres de Pierre-Cénon Trigo, tant ce singulier duo fut immortalisé par des représentations qui font encore aujourd’hui le régal des amateurs d’aquarelles et de cartes postales anciennes.

Nantes, dans le texte

Médecins, militaires, élus de la République et autres écrivains ou artistes jalonnent le tissu urbain de la cité des ducs à force de panneaux bleu au lettrage blanc qui baptisent les rues, les boulevards et les places. Mais, malgré la profusion d’illustres personnalités nantaises qui ont marqué, bien au-delà des limites de la ville, l’histoire de France voire de l’humanité, il apparaît que le nombre de chansons qui leur sont consacrées reste étonnamment modeste.

Une forme de douce revanche de la culture populaire s’exprime dans cette chanson qui ouvre les battants de la postérité à deux personnages issus des catégories les plus socialement défavorisées, pour utiliser une expression parfaitement anachronique. Car les Sœurs Amadou ont plus marqué l’imaginaire que l’histoire de la ville. Pourtant, plus d’un siècle après leur mort, on peut raisonnablement admettre qu’elles jouissent d’un capital sympathie dont peu de grands personnages semblent pouvoir s’enorgueillir.

Portrait chanté

Beaucoup d’incertitudes et imprécisions nuisent encore aujourd’hui à une connaissance précise de la vie et des activités réelles des sœurs Amadou. Depuis leur naissance et jusqu’à leurs morts respectives, en passant par les différents métiers exercés et lieux de résidences, il n’est pas simple de séparer la vérité du mythe, si tant est que ce soit tout bonnement possible. À titre d’exemple, le troisième couplet affirme que la vie « d’artistes des rues » résulte d’un choix motivé par la volonté de mieux gagner sa vie et de se libérer des basses besognes inhérentes aux métiers indignes de leur âme d’artiste, justement. S’il est dit ici ou là qu’elles avaient en effet été bercées de lectures romanesques susceptibles d’alimenter leurs rêves d’accomplissement artistiques, on s’explique alors mal pourquoi elles se sont entêtées à mener une vie âpre et compliquée par les railleries de leurs contemporains. Au reste, la notion même « d’artistes de rues », pour peu qu’on transfère notre réflexion dans le contexte social de la seconde moitié du 19e siècle, peut laisser plus que perplexe sur l’intention réelle de parcourir les rues de Nantes en assujettissant sa subsistance à la générosité des passants.

La chanson est construite de manière à brosser un portrait à la fois précis et satirique, dans lequel l’ironie prend souvent le pas sur l’empathie. Leur tenue vestimentaire par exemple, surtout évoquée aux 4ème, 5ème et 6ème couplet, semble davantage amuser l’auteur que susciter la bienveillance d’un humanisme sans prétention pour deux personnes objectivement « réduites » à la mendicité. Entre autres détails sur l’attirail vestimentaire des Sœurs Amadou, la chanson fait mention au 6ème couplet d’un sac que l’on nomme « ridicule ». Elle abonde ainsi dans le sens d’un écart de langage devenu commun qui, par une évidente assonance, a changé « réticule » en « ridicule ». Il s’agissait d’un petit sac, plus ou moins en forme de bourse, que l’aquarelliste Trigo n’a d’ailleurs pas manqué de faire apparaître dans ses œuvres.

Les sœurs Amadou par Pierre-Cénon Trigo

Les sœurs Amadou par Pierre-Cénon Trigo

Date du document :

À côté de la satire, on apprend toutefois au second couplet comment le surnom d’Amadou se substitue au patronyme Chéreau. Leur père, surnommé le Père Amadou, vendait cette matière aux multiples usages domestiques (allumer le feu, médecine, etc) et interpellait la clientèle d’un cri de métier d’ailleurs repris au second couplet.
Le 7ème couplet se montre assez cruel envers ce que l’on nomme encore, malgré l’inélégance du terme, ces « vieilles filles » dont la pruderie va jusqu’à fuir les regards de la gent masculine.

Enfin, et pour revenir à une matérialité plus objective, le 8ème couplet évoque avec une relative précision, la fin de carrière et de vie de nos deux héroïnes, quoiqu’en évoquant une existence placée sous le double signe du calme et du bonheur, ce qui peut rendre plus que dubitatif. Cela dit, cette conception de la pauvreté, y compris de la pauvreté extrême, n’est pas nouvelle dans la chanson populaire.

Carte postale « Les Demoiselles Amadou »

Carte postale « Les Demoiselles Amadou »

Date du document : Fin 19e – Début 20e siècle

Une vision idéalisée de la pauvreté

En effet, le portrait, que l’on peut estimer largement idéalisé, de deux sœurs mendiantes, exposées aux moqueries mais aussi probablement à ce que l’on nomme aujourd’hui communément « l’insécurité », nous renvoie à certaines chansons de tradition populaire dans lesquelles on retrouve ce travers qui est probablement le fruit d’auteurs n’ayant pas à endurer les affres d’une telle existence.

Je pense notamment à la chanson-type Le pauvre heureux (Coirault, 06221 / Laforte, II, O-92), chanson par ailleurs riche de jolies tournures qui, exprimée à la première personne, décrit avec un certain sens du second degré, les « avantages » de la vie de miséreux :

Dans le creux d'un chêne
J’ai fait bâtir maison
Je n’ai ni portes ni f’nêtres
Et je n’paye pas d’contributions

Refrain
Je vas mon train – Bis
Sans me mettre en peine de rien
Je vas mon train
Au coin d’une muraille
Quand le soleil luit
Moi je livre bataille
À tous mes ennemis

Il n’y a pas tant d'vaisselle
Chez moi comme chez le roi
Je n’ai qu’une pauvre écuelle
Où je mange et je bois

Je n’ai qu’une pauvre chemise
Pour tout habillement
Qui n’a ni queue ni manches
Ni derrière ni devant

Quand je vais à la messe
On m’en fait pis que roi
Tout le monde s’empresse
À s’éloigner de moi

Si le roi de Pologne
Connaissait la vie des gueux
Il descendrait d’son trône
Pour venir avec eux.

Version recueillie par Patrick Bardoul à Nozay (44), auprès de Mme Rabu, en 1980 (archives sonores de Dastum 44).

La version Abel Soreau

Le texte présenté ici est extrait du fonds Abel Soreau, conservé à la bibliothèque municipale de Nantes, lequel Abel Soreau enrichit la chanson du commentaire suivant :

« Cette chanson a dû être composée vers 1885.

[…] Les deux demoiselles Amadou s’appelaient de leur nom de famille Joséphine Chéreau et Magdelaine-Marie Chéreau. Leur père, Louis Chéreau, était blanchisseur et demeurait Cours de la Fédération (cours St-André). Il avait épousé Françoise-Marie-Magdelaine Guérin. Joséphine, l’aînée, surnommée Papillon, naquit le 18 juillet 1798 (veille du 1er thermidor, an VI) à 7 h du soir et mourut le 9 mars 1875, rue Talensac, 8. La plus jeune, Magdelaine-Marie, surnommée Coquette naquit le 13 février 1801 (24è jour de Pluviose, an IX) et mourut infirme à l’hospice St-Jacques, le 7 fév. 1880. […] »

Un commentaire qui nous épargne quelques recherches biographiques mais qui nécessite quelques précisions, si ce n’est corrections. Ainsi, Madeleine-Marie semble née en 1809 et décédée en 1878. Quant à Clotilde-Joséphine, il semble admis qu’elle naquit en 1812 et décéda en 1880.

Le Phare de la Loire en date du 24 mars 1909, dans la rubrique « Au jour le jour », relate l’histoire des deux sœurs, ainsi que l’accident raconté dans le couplet 8. La plus jeune fut en effet renversée par une voiture et, ne pouvant plus marcher dut être « traînée dans une petite charrette » par son aînée.

Hugo Aribart
Dastum 44
2025

1. À Nant’, y’a dix ans, on pouvait rencontrer
Deux vieilles filles d’aspect comique,
Parcourant d’la ville les différents quartiers,
En faisant une drôle de musique.
Tout’ deux avaient même extérieur ;
Ce qui prouve bien que c’étaient deux sœurs.
Leur nom était connu partout ;
On les app’lait les Amadou.

2. Pourquoi c’nom d’Amadou ? Je vas vous l’expliquer :
C’est qu’leur père vendait d’cette substance,
Sur un’ p’tite charrette qu’on lui voyait traîner.
Ses filles lui prêtaient assistance.
Entendez-vous l’bonhomme crier :
Allons medam’s ! D’l’amadou v’nez ach’ter !
Qui veut d’l’amadou pour un sou ?
On app’la ses filles : Amadou !

3. Mais pour leur âme altière, fi donc d’un tel métier,
Avec ses recettes exigües !
Bien mieux vaut, en artistes noblement se poser !
C’est c’qu’elles font, chaque jour, dans les rues.
L’une d’elles joue d’une guitare
Qui n’a qu’une corde ; c’qu’est vraiment bizarre !
L’autre fait entendre quelques glouglous :
C’est là l’concert des Amadou !

4. Impossible de voir plus drôle accoutrement
Que celui de nos deux artistes :
Vieilles robes fripées, soie fanée, vieux rubans,
Ne sortant point d’chez des modistes ;
Dentell’ en loques, chapeaux jaun’ s’rin,
Dont, sans pitié, se gausse le gamin :
Voilà la toilette de haut goût
Des deux demoiselles Amadou !

5. Il est un autre objet qu’i n’faut pas oublier :
Un riflard de noble élégance !
Contre soleil et pluie s’il doit les protéger,
C’est surtout l’arme de défense !
Qu’un pâle voyou l’prenne de trop haut,
Pan ! Un bon coup asséné sur le dos !
Le gas s’enfuit, r’doutant l’courroux
De notre terrible Amadou !

6. Faisons aussi mention de ce sac en taff’tas,
Que quelques-uns nomment un ridicule,
Et que la sœur ainée portait toujours au bras.
Des aliments, c’était l’véhicule !
Là d’dans, pêle-mêle, v’nait s’entasser
Tout c’que les gens daignaient bien leur laisser :
Pain, viande, fromage, laitues et choux,
Qui f’ront l’diner des Amadou.

7. On entendait souvent l’aînée dire à sa sœur :
Baisse les yeux, un monsieur te r’garde !
Ça pourrait fort bien être un séducteur :
O cher ange, que le ciel te garde !
Suivant l’conseil de son aînée,
La jeune alors prenait un’ min’ guindée ;
Et c’est pourquoi c’fut sans époux,
Qu’vécut la jeune des Amadou.

8. Un affreux accident vint hélas ! boul’verser
Le calme et l’bonheur de leur vie.
Un cocher maladroit se permit d’écraser
A moitié, la pauvre Marie.
Sur un’ charrette, l’infortunée
Dut, par sa sœur, dès lors êt’ voiturée !
Mais les passants d’vinrent, à ce coup,
Pleins d’pitié pour les Amadou.

9. Elles sont mortes hélas ! Mais leur mémoire survit
Parmi les habitants de Nantes,
Grâce à l’artiste habile qui en fit un croquis
Où tout deux sont des plus r’ssemblantes.
Non, non ! Coquette et Papillon,
Jamais, à Nantes, on n’oubliera vot’ nom !
Que d’gloire déjà vont dans les d’ssous !...
On parle encor’ des Amadou !

Aucune proposition d'enrichissement pour l'article n'a été validée pour l'instant.

En savoir plus

Bibliographie

Aribart, Hugo et Dréan, Hervé, Abel Soreau ; collecteur de chansons en pays nantais, Condé-en-Normandie, Dastum 44, 2024, 2 volumes

Pajot, Stéphane, Personnages pittoresques de Nantes et de Loire-Atlantique, La Saint-Emeline, Editions d’Orbestier, 1999

Enregistrement

Janick Péniguel (chant), Jean-Louis Auneau (concertina) et Dominique Garino (guitare), à Besné (44) le 13 septembre 2019, d’après la version figurant dans le fonds Abel Soreau.

Pages liées

Nantes la bien chantée

Dastum 44

Dossier : Femmes nantaises

Tags

Femme célèbre Artiste

Contributeurs

Rédaction d'article :

Hugo Aribart

Vous aimerez aussi

Rock

Société et culture

Ticket, Dominique A, Little Rabbits, Elmer Food Beat et bien d'autres : la scène nantaise a su se démarquer et continue de vivre à travers de nouvelles formes - hip hop, pop, électro...

Contributeur(s) :Loïc Abed-Denesle

Date de publication : 19/03/2019

3840

Crèches

Société et culture

Avec la révolution industrielle, les nourrices ne sont plus assez nombreuses pour répondre aux besoins des femmes qui travaillent.

Contributeur(s) :Pierre Chotard

Date de publication : 22/02/2019

1656

Brissonneau

Personnalité nantaise

Le nom de Brissonneau est intimement lié à l’histoire de Nantes depuis le 13 février 1841, quand les frères Mathurin (1814-1897) et Joseph (1817-1900) Brissonneau achètent pour la somme...

Contributeur(s) :Yves Rochcongar

Date de publication : 12/11/2020

2941