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Retour des prisonniers de la Première Guerre mondiale


L’armistice du 11 novembre 1918 marque la fin de la Première Guerre mondiale. Avec elle, ce sont plus de 7000 soldats originaires de Loire-Inférieure, prisonniers des Allemands, qui vont pouvoir regagner leur foyer.

La Fédération des œuvres de secours aux prisonniers de la Loire-Inférieure

Une œuvre a joué un rôle essentiel auprès des prisonniers du département pendant la guerre et dans les mois qui ont suivi la signature de l'armistice. La Fédération des œuvres de secours aux prisonniers de la Loire-Inférieure est créée le 4 septembre 1915 à l'initiative du préfet et en application d'une circulaire du ministre de la guerre du 14 août 1915. Elle siège au 11, rue du Chapeau-Rouge à Nantes. De cette base, elle prend en charge tous les prisonniers du département détenus par les Allemands ou internés en Suisse. Toutes les œuvres créées depuis le début de la guerre se regroupent donc dans une fédération départementale affiliée à l'agence des prisonniers de guerre, c'est-à-dire à la Croix-Rouge française. Les Fédérations départementales pouvaient ainsi recevoir leur part de la subvention de 2 millions de francs votée par le parlement le 29 juin 1915. La fédération de la Loire-Inférieure se charge d'établir des fichiers tenus régulièrement à jour de septembre 1915 jusqu'à février 1919. 

Au total, 8108 prisonniers secourus étaient recensés au 31 octobre 1918. Ils avaient bénéficié principalement de l'envoi de colis alimentaires qui permirent à beaucoup d'entre eux de ne pas mourir de faim dans une Allemagne incapable de nourrir correctement sa population civile dans les derniers mois de la guerre notamment. 260 000 colis ont été expédiés de 1914 à 1918 par les œuvres et la fédération. Ces colis ont été distribués dans 87 camps répartis sur le territoire ennemi comptant au moins quatre prisonniers originaires de la Loire-Inférieure. En février 1919, la fédération récupère environ 5000 colis en mauvais état qui n'ont pu être distribués dans les camps en octobre et novembre 1918. Ils sont remis à 4340 prisonniers de retour d'Allemagne contactés par la fédération.

Arrivée des colis au camp de Wittenberg

Arrivée des colis au camp de Wittenberg

Date du document : 1914-1918

Le rapatriement de prisonniers avant l'armistice du 11 novembre 1918

La convention de Genève de 1906 précisait les conditions de rapatriement des membres des services de santé et celui des prisonniers grands blessés ou gravement malades. Les premiers échanges entre la France et l'Allemagne ont lieu en mars et en juillet 1915. 217 prisonniers originaires de la Loire-Inférieure sont ainsi rapatriés en application de la convention de Genève. À cette catégorie, il faut ajouter l'internement en Suisse de 327 prisonniers insuffisamment blessés ou malades pour être rapatriés. Des accords sont signés le 15 janvier 1916 entre la France et l'Allemagne et les premiers convois arrivent en Suisse le 26 janvier 1916. 

À partir de 1917, des négociations s'engagent pour la libération des plus anciens prisonniers. Elles s'éternisent. Le 20 février 1918, une Fédération de l'Ouest rassemblant 13 départements se constitue pour faire pression sur le gouvernement français et obtenir un accord avec l'Allemagne le plus rapidement possible. Une convention est enfin signée à la conférence franco-allemande de Berne le 15 mars 1918. L'accord concerne les hommes âgés de 45 ans au moins et ceux de 40 ans pères de 3 enfants. Les officiers répondant à ces critères ne sont pas rapatriés mais internés en Suisse. L'application de l'accord se faisant attendre, une cinquantaine de prisonniers de la Loire-Inférieure bénéficient seulement de cette mesure. Enfin, la Fédération départementale ne répertorie que 30 évadés. 

Au total, elle a secouru un peu plus de 8000 prisonniers mais plusieurs centaines d'entre eux, le 11 novembre 1918 ne figurent plus dans les geôles allemandes. Il faut aussi tenir compte des 112 prisonniers décédés en captivité. Le premier corps est rapatrié à Nantes le 17 janvier 1926. Les obsèques se déroulent deux jours plus tard en présence du maire, Paul Bellamy.

La mission du général Dupont : novembre 1918-janvier 1919

L'article X de la convention d'armistice impose à l'Allemagne « le rapatriement immédiat, sans réciprocité » de tous les prisonniers de guerre des armées alliées. La Loire-Inférieure attend le retour d'environ 7000 à 7500 prisonniers détenus en Allemagne, mais aussi sur ou en arrière de la ligne de front. En effet, de nombreux soldats capturés au cours des offensives allemandes du printemps 1918 n'ont pas été transférés en Allemagne.

Une conférence se réunit à Spa au Grand Quartier général des armées allemandes pour mettre en œuvre les accords d'armistice, et en particulier l'organisation du rapatriement des prisonniers. Du côté français, la mission est confiée au général Dupont qui ne reçoit l'ordre de se rendre à Berlin que le 30 novembre 1918. Il arrive dans la capitale allemande le 6 décembre alors qu'un grand nombre de prisonniers a déjà quitté les camps et les détachements de travail. Ils errent sur les routes d'un pays livré au chaos. Le 6 décembre, on estime qu'un quart seulement des prisonniers demeure dans des camps qui ne sont plus gardés ni approvisionnés. À Nantes, par exemple, la décision de l'arrêt d'envoi des colis est prise le 13 novembre. La mission Dupont a été accomplie en un temps record compte tenu des centaines de milliers de prisonniers français qu'il fallait rapatrier dans un contexte chaotique.

Soldats français à Rotterdam, 12 janvier 1919

Soldats français à Rotterdam, 12 janvier 1919

Date du document : 12/01/1919

Le rapatriement des prisonniers originaires de la Loire-Inférieure s'achève donc à la mi-janvier 1919. 4340 prisonniers viennent récupérer, rue du Chapeau-Rouge, les colis de retour d'Allemagne. Ces prisonniers ont fait l'objet de fiches et de cahiers sur lesquels la date de leur arrivée est notée. L'analyse d'un contingent de 1000 prisonniers de retour, donne les résultats suivants :
• 10,6% sont rapatriés en novembre 1918, 
• 57% en décembre 1918,
• 31,6% en janvier 1919. 

Huit hommes gravement blessés ou malades avaient été rapatriés en juillet ou en août 1918.

L'arrivée des trains de prisonniers rapatriés en gare de Nantes

La presse nantaise publie des articles sur le retour parfois singulièrement désordonné des prisonniers. Tous ne mettent pas le pied sur le quai de la gare d'Orléans. Le premier convoi chargé de 711 hommes appartenant au XIe corps arrive le lundi 25 novembre à 22h30. Pour la majorité, il s'agit de prisonniers détenus en arrière des lignes allemandes, à proximité du front. À la veille des offensives du printemps, nombre d'entre eux ont été transférés des camps allemands pour exécuter des travaux de défense ou de transport de munitions sur le front, en violation de la convention de La Haye de 1907.

« Nos Prisonniers reviennent », Phare de la Loire

« Nos Prisonniers reviennent », Phare de la Loire

Date du document : 26/11/1918

Les autres, capturés au cours des offensives, ont été maintenus sur place. Tous ont traversé les lignes dès le 12 novembre, débarrassés de leurs geôliers qui s'étaient repliés. Le mouvement de retour s'est accéléré dans les derniers jours du mois de novembre et surtout en décembre lorsque la mission Dupont devient opérationnelle. Tous ces hommes sont dirigés vers les casernes du 65e régiment d’infanterie et du 3e dragon pour effectuer les formalités réglementaires : identification, examen médical, habillement, remise d'allocations, de tickets journaliers de 500 grammes de pain pour la durée de la permission de 30 jours accordée dans un premier temps. À l'issue de cette permission, ils doivent rejoindre le dépôt en vue de leur démobilisation.

L'accueil des prisonniers : suspects ou victimes ?

L'attitude des civils se démarque singulièrement de celle des militaires. Si les civils, dans leur ensemble, soutenus par la presse, s'apitoient sur le dénuement et les souffrances subies par les prisonniers rapatriés, l'institution militaire les suspecte de faiblesse coupable, voire de désertion. Ils se seraient rendus trop facilement à l'ennemi.

La presse insiste sur la détresse d'hommes qui, après le passage sur la ligne de feu ou l'errance sur les routes d'Allemagne, arrivent dans un état lamentable, vêtus de loques, affaiblis par les privations de nourriture. Ceux qui arrivent en gare de Nantes ont été soignés pendant plusieurs jours avant leur départ et offrent donc un meilleur aspect à leur descente du train. 

À l'exception de l'institution militaire, les prisonniers rapatriés reçoivent de la population, mais aussi des autorités civiles, un accueil souvent chaleureux en considération des souffrances endurées. Le Populaire du 27 novembre 1918 résume bien le sentiment général : « En les accueillant en toute sympathie, sachons les réconforter […] Apprenons d'eux surtout les durs traitements qu'ils ont subis de leurs geôliers ». Le député du Nord et ancien prisonnier, Léon Pasqual, intervient à la Chambre ce même 27 novembre pour supplier de « ne pas les recevoir comme des échappés du bagne ou des demi-boches […] La patrie doit recevoir à bras ouverts ceux de ses enfants qui ont le plus souffert ».

Et c'est bien à bras ouverts que les prisonniers sont reçus à leur arrivée en gare de Nantes le 25 novembre 1918. Les adjoints au maire, Cassegrain et Rondeau sont présents sur le quai. Les prisonniers sont acclamés par la foule présente à leur descente du train. Les dames de la Croix-Rouge leur offrent des sandwichs, des fruits, du café, du tabac. L'armée observe une attitude beaucoup plus réservée. Elle ne cache pas ses soupçons de lâcheté, voire de trahison de soldats, à son avis, trop facilement capturés par l'ennemi. Dès le mois de novembre 1914, Joffre les menaçait de sanctions à leur retour de captivité. En décembre 1918, les journaux nantais se font l'écho d'une inquisition militaire mal acceptée par les familles de prisonniers. Tous les soldats n'ont pas été rapatriés par le chemin de fer. Nombreux sont ceux qui évitent de se présenter aux autorités militaires pour échapper à l'interrogatoire destiné à préciser les circonstances de la capture. Il est vrai que la Fédération départementale, dans des cas très rares, signale qu'elle a du interrompre l'envoi de colis à des prisonniers condamnés à mort pour désertion. La presse est donc invitée à rappeler à l'ordre les récalcitrants trop pressés de rejoindre leurs familles. 

Des lecteurs du Phare de la Loire se plaignent des interminables interrogatoires qui retardent la libération des soldats et leur retour au foyer. Au niveau national, l'Association des familles de prisonniers de guerre proteste contre l'institution militaire accusée d'établir une présomption de culpabilité contre le simple soldat capturé par l'ennemi. Le député Léon Pasqual intervient en séance pour désavouer l’État-major plus enclin à condamner qu'à faire preuve d'humanité. Il mène ensuite un combat difficile pour obtenir que la mention « mort pour la France » votée en 1915 soit attribuée aux prisonniers décédés dans les camps de l'ennemi. La mesure n'est adoptée qu'en janvier 1922.

Yves Jaouen
2023



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Yves Jaouen

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