Bandeau
Le Clou Maison des Lions : ménagerie des ducs de Bretagne

184

13-14 décembre 1918 : Nantes célèbre la visite du président Wilson en France


En décembre 1918, le président des États-Unis Woodrow Wilson se rend en France afin de participer à la conférence de paix organisée entre les pays alliés à la fin de la Première Guerre mondiale. Comme partout en France, sa venue est acclamée par les Nantais.

Une visite saluée par la gauche française

La venue du président Woodrow Wilson en Europe est annoncée moins d'une semaine après la signature de l'armistice. Convaincu que le maintien de la paix future dans le monde est intimement lié à la mise en œuvre de la ligue des nations dont il prêche les vertus depuis plusieurs années, il estime sa présence aux négociations de paix indispensable. L'événement revêt une importance particulière parce que c'est la première fois qu'un président des États-Unis en exercice quitte le territoire américain. Ce déplacement en Europe remet en cause la doctrine Monroe, pilier de la politique étrangère américaine. Jusqu’ici, elle protégeait les États-Unis de toute ingérence européenne en tenant l’état américain à l’écart des affaires européennes (isolationnisme).

Dans les jours qui précèdent l'arrivée du président Woodrow Wilson, la presse de gauche multiplie de longs articles à la gloire de celui qu'elle nomme « l'apôtre de la paix ». À Nantes, Gaston Veil, premier adjoint au maire, dirige un journal radical, Le Populaire, dans lequel il témoigne du ralliement de la gauche française aux idées du président américain. Il affirme que les ouvriers comme tous les démocrates accordent leurs plus grands espoirs au président Wilson : « Les prolétaires mettent toute leur confiance en un homme qui n'est pas socialiste mais dont les idées se rapprochent beaucoup des leurs ».

Le vendredi 13 décembre 1918, jour du débarquement présidentiel à Brest, la une du quotidien nantais est barrée de titres en gros caractères claironnant les espoirs mis en sa personne. « Le grand citoyen, le champion des droits des peuples » reçoit le salut de la démocratie française. À Paris le 14 décembre, la Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO) et la Confédération générale du travail (CGT), enthousiastes, demandent aux travailleurs de s'assembler en masse tout le long du parcours du président américain dans la capitale « pour acclamer l'hôte de la France ». Pour les deux organisations, comme pour Gaston Veil, c'est le défenseur de la « justice internationale », le père de la Société des Nations, l'homme de « la paix durable » qui s'invite à la table des négociations.

Une journée de fête à Nantes

Le maire de Nantes, Paul Bellamy, se joint au concert de louanges en adressant au président américain, au nom du conseil municipal et de la cité tout entière, ses souhaits de bienvenue et l'hommage enthousiaste de la population invitée à pavoiser. Sur une affiche qu'il fait placarder sur les murs de la ville, il rappelle la présence de nombreux soldats américains et justifie l'hommage rendu à Woodrow Wilson par la contribution des États-Unis à la victoire de « la justice et du droit ».

Pour donner corps aux aimables propos, la journée du 14 décembre est déclarée fériée pour les administrations publiques et un congé par roulement est accordé aux employés de la ville. Les établissements scolaires de la Loire-Inférieure, l'administration des Postes, télégraphes et téléphones (PTT), les trésoreries et un grand nombre de magasins et d'entreprises ferment. Les monuments publics et municipaux sont décorés aux couleurs françaises et américaines. À 14h30, une prise d'armes est organisée sur le cours Saint-André. Un détachement américain porteur de drapeaux et précédé d'une fanfare défile suivi de détachements du 65e régiment d’infanterie, du 90e d'artillerie lourde, et du 3e dragon à cheval. À 20h30, une retraite aux flambeaux précédée d'une musique militaire américaine part de la place Delorme pour clôturer la journée d'hommage au président Wilson.

Un meeting en l’honneur de Woodrow Wilson

La gauche nantaise, bien décidée à honorer le président américain ce samedi 14 décembre par une présence massive dans les rues, se heurte pourtant à une opposition qui gâche la fête populaire envisagée. 

L'Union des syndicats et la Fédération socialiste de Nantes veulent organiser une grande manifestation en l'honneur de l'arrivée du président à Paris. Un message est adressé à la classe ouvrière pour lui donner rendez-vous sur la place de la Duchesse-Anne à 14h. Le cortège doit défiler dans les rues de la ville jusqu'au consulat américain dont le siège se situe rue Kléber. Un discours, dans lequel les deux organismes expriment au président Woodrow Wilson leurs sentiments et leurs vœux, doit lui être remise. Le défilé doit prendre fin devant la salle Colbert où un grand meeting doit avoir lieu. 

Mais, comme à Paris, la manifestation est interdite. Seul le meeting est autorisé. La SFIO et l'Union locale des syndicats acceptent de renoncer à défiler dans les rues de Nantes pour éviter d'éventuels incidents. Un important service d'ordre a pris position place de la Duchesse-Anne le samedi après-midi pour dissuader les quelques récalcitrants présents qui préfèrent assister, dans le calme, à une revue militaire toute proche. Le meeting se déroule dans la salle Colbert, mise à disposition par le maire, en présence de 900 personnes dont environ 250 femmes et s'achève à 18h15 sans incident. Les orateurs ont encensé le président américain, « un pur pacifiste », mais regretté amèrement l'interdiction du défilé, attribuée à Clemenceau. Ils constatent que ce n'est pas surprenant de la part de « l'homme de Draveil », faisant référence à une grève des ouvriers des carrières de Draveil et Villeneuve réprimée dans le sang en 1908 par des gendarmes. Georges Clemenceau occupait alors le poste de ministre de l’Intérieur. 

En conclusion du meeting, l'Union locale des syndicats ouvriers de Nantes adhérents à la CGT et la Fédération socialiste nantaise réaffirment leur attachement aux 14 propositions de Woodrow Wilson. Ces propositions, rendues publiques dans un discours le 8 janvier 1918, doivent aboutir à la paix en Europe et la mise en œuvre de nouveaux principes régissant les relations internationales : une diplomatie ouverte, la création d’une Société des Nations, ou encore la promotion de liberté des peuples colonisés de disposer d’eux-mêmes et du libéralisme économique.

L’idéal de paix de Wilson s’oppose à l’esprit de vengeance des Français

Avant même que les négociations de paix ne soient engagées, l'opinion française n'est-elle pas victime d'une confusion entre l'idéalisme wilsonien, qui a pour ambition de proscrire la guerre à tout jamais au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, et l'engagement d'un président qui a contribué à précipiter la victoire ? Si la gauche (SFIO et CGT) accorde un soutien sans faille à Woodrow Wilson comme homme de paix, la majorité des Français accueille le libérateur en ce mois de décembre 1918. Le discours de bienvenue de Paul Bellamy est significatif. Il acclame le représentant du peuple « dont l'élan sur les champs de bataille a assuré le triomphe décisif du Droit plus précieux que la Paix ». La paix, ajoute-t-il, doit avoir pour base la justice et le droit. Ces deux mots ont été constamment utilisés pendant les quatre années de guerre par les alliés. 

On n'a cessé d'asséner cette vérité d'une guerre juste, d'une guerre du droit menée contre l'agression d'un peuple barbare. À la veille des négociations de paix, pour la population française, les principes de droit et de justice sont très éloignés du sens que Wilson veut leur donner, comme en témoigne le discours du maire de Nantes. Il rappelle que la justice et le droit « sont d'abord la réparation des dommages causés, puis le châtiment du crime ». Pour Paul Bellamy, la Société des Nations proposée par le président américain comme fondement d'une paix durable ne peut se former qu'à la condition que justice soit faite par « le châtiment des coupables ». Il suppose donc la réparation intégrale des dommages causés par l'Allemagne et la mise en œuvre de mesures garantissant la sécurité de la France. Il ajoute enfin que seules « les libres démocraties » trouvent leur place dans la Société des Nations.

Ainsi, avant même que les négociations de paix ne soient engagées, le malentendu entre l'idéalisme wilsonien et le réalisme d'un pays profondément meurtri par la guerre s'expose avec clarté. Cet idéalisme, en 1918, est difficilement concevable pour une France blessée, endeuillée, bouleversée par un conflit qui avait été présenté comme le combat de résistance de la civilisation agressée par la barbarie germanique. Dans ces conditions, les mots justice et droit ne pouvaient pas résonner à l'unisson pour un peuple meurtri et pour le représentant du peuple d'outre-atlantique qui n'avait pas connu les mêmes destructions, la même saignée démographique. L'idéalisme wilsonien est rapidement bafoué par les négociateurs. De compromis en compromis, la « paix sans victoire » tant souhaitée par le président américain, se transforme en « paix de vengeance ». L’Allemagne sera condamnée à verser de lourdes réparations de guerre en nature et en monnaie. Elle perdra des territoires et sera désarmée.

À Nantes, Gaston Veil, lui-même grand admirateur du plan de paix américain, ne peut se défaire de la haine des Allemands qui l'habite et qu'il a cultivée avec délice dans son journal. De février à juin 1919, les éditoriaux qu'il écrit dans Le Populaire révèlent la difficulté, voire l'impossibilité de concilier l’idéal de paix du président Woodrow Wilson avec son ressentiment envers l’Allemagne. Il fustige les intellectuels français qualifiés de « mauvais bergers », accusés de ne pas avoir soutenu le président américain, ou pire, d'avoir fait campagne contre lui. Gaston Veil le présente comme une victime non exempte d'une faiblesse coupable. Il n'aurait pas assez résisté aux assauts livrés contre ses 14 propositions du 8 janvier 1918. En même temps, sa haine de l'Allemagne, aux antipodes de l'idéalisme wilsonien, se déverse dans son éditorial du 29 juin 1919 : « Les condamnés ont été amenés à l'heure dite et l'exécution a eu lieu dans le salon des Glaces ». Ce châtiment que Gaston Veil estime conforme au droit et à la justice vide en réalité le projet de paix internationale de Wilson de toute substance.

Yves Jaouen
2023

Aucune proposition d'enrichissement pour l'article n'a été validée pour l'instant.

En savoir plus

Webographie

Les 14 points de Wilson (8 janvier 1918) Lien s'ouvrant dans une nouvelle fenêtre

Pages liées

Dossier : Première Guerre mondiale

Tags

1e GM Événements nantais

Contributeurs

Rédaction d'article :

Yves Jaouen

Vous aimerez aussi

Protection du Patrimoine

Architecture et urbanisme

En juillet 1796, le département de Loire-Inférieure consulte l’ingénieur Julien Groleau sur l’opportunité de détruire la cathédrale afin de prolonger la rue du Département (actuelle...

Contributeur(s) :André Péron

Date de publication : 14/10/2021

1616

Michel Roux-Spitz (1888 – 1957)

Personnalité nantaise

Le 29 mars 1945, c’est un architecte à l’apogée de sa carrière qui est nommé architecte en chef de la Reconstruction de Nantes.

Contributeur(s) :Dominique Amouroux

Date de publication : 11/10/2021

4150

Jean Chabot (1914 – 2015)

Personnalité nantaise

Jean Chabot est un peintre attachant, authentique et talentueux qui a animé pendant des décennies, avec d’autres peintres de sa génération, la vie artistique nantaise.

Contributeur(s) :Jean Martini , Yves Cosson , Henri Bouyer ...

Date de publication : 16/06/2021

3215