1784 : le ballon Suffren s’envole dans le ciel de Nantes
Le 4 juin 1783, la première expérience d’aérostation des frères Montgolfier engendre un engouement populaire considérable. Chaque ville de province veut son ballon et les envols se multiplient dans toutes les régions. À Nantes, deux projets, l’un spectaculaire l’autre plus scientifique, sont en concurrence. Ils finissent par unir leurs forces et le Suffren s’élève pour la première fois en juin 1784.
Les Nantais sont enthousiastes et célèbrent leur aérostat par de nombreux couplets. De manière inattendue, il apparaît même dans une nouvelle du grand écrivain américain Edgar Allan Poe…
Les principaux protagonistes
Après le succès public du vol de la montgolfière le 4 juin 1783, Nantes se prend de passion pour les ballons. Le père Joseph Mouchet, professeur de physique au collège de l’Oratoire, mène des expériences à petite échelle. Anne Pierre Coustard de Massy, mousquetaire du roi, lieutenant des Maréchaux de France et homme politique durant la Révolution française, lance une souscription afin de construire un aérostat nantais. Tous les deux pensent avant tout au spectacle qu’ils comptent offrir à la ville, et dont ils espèrent quelques retombées financières. Pierre Lévêque, professeur d’hydrographie et récent correspondant de l’Académie royale des sciences, entend faire du vol une expérience scientifique. Contrairement à Mouchet et Coustard de Massy, il n’est pas partisan de l’air chaud utilisé par les frères Montgolfier mais privilégie l’hydrogène choisi par le physicien Jacques Charles et l’ingénieur Nicolas Louis Robert pour le deuxième envol français d’août 1783 aux Tuileries.
Après des polémiques dont la presse locale se fait l’écho, les trois hommes parviennent à un accord. Le ballon Suffren est finalement gonflé à l’hydrogène, il emporte des instruments de mesure, et Mouchet et Coustard de Massy y prennent place.
Premier envol : 14 juin 1784
C’est de l’Hôpital des Enfants Trouvés, quartier Saint-Clément, que le ballon doit s’élever. L’enveloppe de taffetas fait 30 pieds 6 pouces de diamètre (un peu plus de 9 mètres), elle est vernie par la manufacture de toile du sieur Diot. La nacelle est particulièrement décorée, elle revêt la forme d’une gondole et est réalisée par les frères Bourmeau. L’hydrogène est obtenu en faisant réagir de l’acide vitriolique (aujourd’hui, nous disons sulfurique) sur du zinc. Le gonflement débute à 4h30 du matin et s’achève vers 18h. Les premières minutes après le largage des amarres sont chaotiques : le ballon rebondit à plusieurs reprises sur le sol et le matériel d’enregistrement de température et de pression est détruit. Mais Mouchet et Coustard de Massy finissent par s’envoler sous les yeux des 80 000 spectateurs ébahis.
Ascension du Suffren à Nantes
Date du document : 1784
À une altitude d’environ 1000 mètres, les deux aérostiers survolent le vignoble, plus soucieux de partager les victuailles emportées que des expériences ayant tourné court / plus soucieux de profiter gaiement du vol que des relevés scientifiques. Ils atterrissent au bout d’une heure à Gesté, près de Cholet. Ils laissent s’échapper le ballon qui sera heureusement retrouvé par des paysans près de Bressuire dans le Poitou. Au retour, ils sont salués en héros et leur aventure fait l’objet de chansons et de décors divers (faïences, éventails, etc). La contribution de Pierre Lévêque est généralement peu mentionnée.
Ascension du « Suffren » à Nantes
Date du document : 1784
Deuxième ascension : 6 septembre 1784
Pierre Lévêque, très déçu par l’échec scientifique du premier essai, en souhaite un second. Mais il faut tout d’abord réparer le ballon endommagé par la tentative de juin et renflouer les caisses : la plupart des spectateurs ont observé gratuitement depuis des jardins voisins de celui des Enfants Trouvés, sans acquitter la contribution nécessaire pour pénétrer dans l’enceinte officielle. Les organisateurs font appel à de riches souscripteurs pour mener leur projet et Coustard de Massy choisit parmi eux celui qui l’accompagne. C’est le négociant Deluynes. Nous bénéficions de bien plus de détails sur ce second envol car Pierre Lévêque lui a consacré un volume conservé au service Patrimoine de la Bibliothèque municipale : Description de la seconde expérience aérostatique faite à Nantes, paru chez Brun. L’équipement scientifique consiste en deux thermomètres, deux baromètres, un hygromètre et un compas de marine.
Le vol est bien plus long que le précédent car c’est au bout de 2h30 environ que Coustard et Deluynes se posent à proximité de Fay-de-Bretagne.
L'aérostat le « Suffren »
Date du document : 1784
Comme le 14 juin, les occupants du ballon sont célébrés. En dépit de leurs maigres connaissances, ils ont fait quelques relevés de température et de pression. Mais ceux-ci se révèlent inexploitables, la comparaison avec le sol étant impossible en raison du mouvement imprévisible de l’aérostat. Pierre Lévêque se console : la multiplication des expériences doit finir pas apporter quelques données. Quant à l’impact sur le grand public, il est tout aussi important qu’en juin, d’autant que le Suffren a survolé le quartier Saint-Similien à une altitude suffisamment basse pour permettre à un vaste public de l’admirer.
Le « cousin de Nantes » chez Edgar Allan Poe
En 1835, Edgar Allan Poe publie une nouvelle intitulée Aventure sans pareille d’un certain Hans Pfaall, traduite par le poète Charles Baudelaire en 1856 pour le recueil des Histoires extraordinaires. Hans Pfaall se propose de rejoindre la Lune à bord d’un ballon gonflé à l’aide d’un gaz secret dont la recette lui a été communiquée « par un cousin de Nantes ». Elle présente bien des similarités avec celle de l’hydrogène de Pierre Lévêque : « une bonne quantité d’une certaine substance métallique ou demi-métal, que je ne nommerai pas, et une douzaine de dames-jeannes remplies d’un acide très-commun ».
Comment Edgar Allan Poe a-t-il eu vent de l’expérience nantaise ? C’est un lecteur assidu de la Cyclopaedia d’Abraham Rees, dont le volume I paru à Philadelphie en 1806 comporte un article « Aerostation » décrivant l’envol de Coustard de Massy (orthographié « Massi » comme au 18e siècle) et Mouchet, après celui des frères Montgolfier. Pour le romancier, le gaz issu d’un processus chimique de l’expérience nantaise est plus susceptible de mystère que le banal air chaud de la montgolfière.
Vue de l’aérostat le Suffren
Date du document : 14/06/1784
Traces patrimoniales
Le souvenir de Pierre Lévêque est commémorée par une rue portant son nom, située près de la Médiathèque Jacques Demy.
Anne Pierre Coustard de Massy a eu plusieurs vies et c’est plutôt le député révolutionnaire mort guillotiné que commémore la rue Coustard, reliant l’allée Baco à la rue Crucy.
De nombreuses estampes illustrent les différentes opérations d’envol du Suffren. Elles figurent dans des collections françaises mais aussi étrangères comme celles du Science Museum de Londres, de la Smithsonian Institution ou de la Library of Congress aux États-Unis.
Plusieurs chants populaires reviennent sur les envols du Suffren. Ainsi, la « Chanson nouvelle », dont le manuscrit est conservée à la Bibliothèque municipale, célèbre nos trois aérostiers :
VIII
De Mouchet chantons tout de bon
Le courage et le beau renom
Que son voyage lui donna, aleluia.
IX
Levesque a eu grand mal au cœur
Au retour de cest voyageurs
Quand il a vu leur gaz plat, aleluia.
X
Coustard se dit éternisé
Mais cette fois il a baissé
L’abbé Mouchet n’i étant pas, aleluia.
Colette Le Lay
Association Méridienne
2024
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Rédaction d'article :
Colette Le Lay
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