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19-20 décembre 1985 : prise d’otages au palais de justice de Nantes


Le 19 décembre 1985, Abdelkarim Khalki fait irruption dans la salle d’audience de la cour d’assises de Loire-Atlantique, armé d’un revolver et d’une grenade, alors que se termine le procès de Georges Courtois et Patrick Thiolet pour braquage. En quelques instants, les trois complices prennent le contrôle de l’assemblée et s’engagent dans une prise d’otages qui durera 34 heures.

Le procès du 18 et 19 décembre 1985

En décembre 1983, Georges Courtois et Patrick Thiolet, deux braqueurs multirécidivistes, sont arrêtés par la police à bord d’un véhicule volé et en possession d’armes à feu. Accusés d’être responsables du braquage du Crédit Agricole de Sucé-sur-Erdre du 22 septembre 1983, leur procès est fixé au 18 et 19 décembre 1985.

Le jeudi 19 décembre, Georges Courtois comparaît avec Patrick Thiolet et deux complices aux assises de Loire-Atlantique, présidée par Dominique Bailhache, pour la deuxième journée de procès. Dominique Guillet, l’un des deux journalistes chargés de rédiger le compte-rendu du procès pour la presse écrite, décrit ainsi Georges Courtois : « [Il] manie un art consommé de la mise en scène. "Homme de lettres", il revendique la profession de malfaiteur "pour faciliter la clarté des débats" ! Avec une assurance décontractée, un franc-parler qui mêle l’humour et l’insolence, il se bat jusqu’au bout pendant cette première journée d’audience. Il a l’habitude des procès, il fait de la prison depuis l’enfance… ».

Georges Courtois dans la salle d’audience lors de la prise d’otages du palais de justice de Nantes, le 19 décembre 1985

Georges Courtois dans la salle d’audience lors de la prise d’otages du palais de justice de Nantes, le 19 décembre 1985

Date du document : 19/12/1985

« Nous voulons donner une gifle à l’État français »

Il est environ 10h45 lorsque l’avocat général Philippe Varin termine son réquisitoire. C’est alors qu’Abdelkarim Khalki, un braqueur ayant fait la rencontre de Georges Courtois en prison, pénètre dans la salle d’audience. Il tient dans une main une grenade et braque son arme à feu contre le cou de Dominique Bailhache avant de menacer l’assemblée. Les policiers présents sont contraints de déposer leurs armes. En un instant, Khalki prend le contrôle de la salle et distribue les armes à Courtois et Thiolet. L’arsenal est composé de plusieurs revolvers et grenades que les malfaiteurs dégoupillent et tiennent en main. Ils font évacuer la salle et gardent avec eux 34 otages. Michel Taupier, l’avocat de Courtois, sert d’intermédiaire pour les premières négociations.

Abdelkarim Khalki dans la salle d’audience lors de la prise d’otages du palais de justice de Nantes, le 19 décembre 1985

Abdelkarim Khalki dans la salle d’audience lors de la prise d’otages du palais de justice de Nantes, le 19 décembre 1985

Date du document : 19/12/1985

Georges Courtois, Patrick Thiolet et Abdelkarim Khalki souhaitent donner une dimension spectaculaire à cette prise d’otages. Ils exigent la présence d’une équipe de télévision dans la salle d’audience. Une équipe de FR3 composée de deux journalistes et d’un caméraman entre dans la salle. Deux étudiantes en droit, dont une souffrant de problèmes cardiaques, sont libérées dans la foulée. Tout au long de la prise d’otages, la libération de captifs sera négociée en contrepartie des exigences formulées par les malfaiteurs.

En parallèle, un important dispositif policier boucle le palais de justice et son quartier. Une cellule de crise est montée sur site et des hommes du Groupe d’intervention de la police nationale (GIPN) arrivent de Rennes. L’épouse et la fille de Georges Courtois sont également présentes pour participer aux négociations.

D’après leurs déclarations, les revendications des malfaiteurs sont doubles : ils affirment leur soutien à la cause palestinienne, notamment aux actions conduites par Abou Nidal et le Front de libération de la Palestine (FLP), responsables de plusieurs attentats et assassinats. Khalki demande à vérifier les papiers d’identité des otages afin de voir si certains sont juifs, ce à quoi Courtois répond : « Je ne suis pas du côté de Le Pen, mais un ami de mes frères musulmans. »

Mais cette prise d’otages sert avant tout de tribune à Courtois. Face aux captifs, il exprime son ressentiment envers le système judiciaire et carcéral français : « Si nous sommes ici, c'est à la justice française qu'on le doit. C'est elle qui m'a emmené ici depuis l'âge de 13 ans. […] Être en prison, c'est vivre comme un tube digestif. C'est la dépersonnalisation. Le manque de respect. Quand ma fille vient au parloir et qu'elle pleure, il y a un maton qui vient lui dire de se taire. […] Au moment où elle est née, je voulais sortir du cercle de l'amoralité comme le disait si bien le procureur. Et puis est venue une condamnation de 3 mois pour une affaire ancienne. Ces trois mois j'ai demandé à les faire après mon stage. Eh bien non, ça a été refusé... » (propos rapportés dans le Presse-Océan du 20 décembre 1985)

Devant la caméra de FR3, Courtois présente les deux options qui s’offrent à lui et ses complices : s’enfuir ou mourir. Il se dit prêt à exécuter un otage à la moindre tentative d’intervention de la police, en assurant aux étudiants qu’il ne leur veut aucun mal.

À l’extérieur du palais, les médias français et étrangers suivent la prise d’otages minute par minute. La première équipe de télévision arrivée sur les lieux sont les Américains de NBC. Sont présents également la chaîne anglaise BBC, des médias japonais et américains, ainsi que le célèbre journaliste Pierre Salinger.

Les négociations et libérations d’otages se poursuivent

Vers 16h, les véritables négociations débutent avec l’arrivée du commissaire Robert Broussard, le « superflic » ayant traqué jusqu’à l’abattre Jacques Mesrine, et d’une équipe du RAID. Le RAID est un groupe d’intervention de la police créé quelques mois plus tôt sur proposition de Broussard, spécialisé dans la lutte contre le terrorisme et le grand banditisme. Durant la prise d’otages, les policiers parviendront à ouvrir les verrières qui surplombent la salle d’audience. Ils choisiront de ne pas tirer sur les malfaiteurs en raison des grenades souvent dégoupillées.

Vers 17h15, le commissaire Broussard et le préfet Jean Chevance entrent dans la salle d’audience à la demande des preneurs d’otages pour un court échange. Les étudiants en droit et les deux journalistes de la presse écrite qui assistaient au procès sont libérés dans la foulée. Peu après, Courtois et ses complices demandent à ce qu’un car soit mis à leur disposition afin de prendre la fuite avec les otages restants : le président de la cour d’assises, ses deux assesseurs, l’avocat général, la greffière et les neuf jurés.

Vers 21h, Georges Courtois sort de la salle, enchaîné au président de la cour, un pistolet à la main. Il échange avec le commissaire Ange Mancini, patron du RAID, Broussard et Chevance avant de regagner la salle d’audience.

Ange Mancini et Robert Broussard se serrant la main à la fin de la prise d’otages du palais de justice de Nantes, le 20 décembre 1985

Ange Mancini et Robert Broussard se serrant la main à la fin de la prise d’otages du palais de justice de Nantes, le 20 décembre 1985

Date du document : 20/12/1985

Durant la nuit du 19 au 20 décembre, deux membres du jury et la greffière sont libérés. Les ravisseurs refusent finalement d’utiliser le car réclamé, arrivé au palais vers 2h30, de peur d’être piégés. Le 20 décembre en fin de matinée, l’intégralité des jurés est libérée.

La fin de la prise d’otages

À 14h15, Georges Courtois apparaît en haut des marches du palais de justice. Enchaîné au président Dominique Bailhache, il tient un revolver dans chaque main. Les policiers sont attentifs. Courtois tire sur l’un d’eux avant de faire feu sur la foule de journalistes, perforant l’objectif d’un appareil photo.

Georges Courtois et Dominique Bailhache sur les marches du palais de justice de Nantes lors de la prise d’otages des 19 et 20 décembre 1985

Georges Courtois et Dominique Bailhache sur les marches du palais de justice de Nantes lors de la prise d’otages des 19 et 20 décembre 1985

Date du document : 20/12/1985

Il se décide finalement à gagner un véhicule Renault Espace neuf avec son otage. Peu après, ils sont rejoints par Khalki et Thiolet, enchaînés aux trois otages restants. Ils prennent la direction de la gare SNCF, suivis par plusieurs voitures et motos de police, où ils retirent d’une consigne des explosifs et un pistolet-mitrailleur. Les malfaiteurs poursuivent leur route jusqu’à l’aéroport de Bouguenais où les négociations se poursuivent. Les preneurs d’otage exigent qu’un avion soit mis à leur disposition, sans évoquer de destination précise. Les grenades dégoupillées qu’ils tiennent à la main empêchent toute intervention des tireurs d’élite postés à proximité. Deux otages sont libérés.

Après plusieurs heures d’attente dans l’angoisse, les deux derniers otages sont délivrés à 20h30 et les malfaiteurs se rendent sans condition. D’après Courtois, « Compte tenu de l’intervention de Karim Khalki dans l’enceinte de la cour d’assises, de la mise en jeu de sa liberté et de sa vie, nous estimons de notre devoir d’échanger la sienne contre la nôtre, qui était garantie par le ministre de l’Intérieur. »

Georges Courtois, Abdelkarim Khalki et Patrick Thiolet après leur reddition, le 20 décembre 1985

Georges Courtois, Abdelkarim Khalki et Patrick Thiolet après leur reddition, le 20 décembre 1985

Date du document : 20/12/1985

Les suites de la prise d’otages

Georges Courtois, Patrick Thiolet et Abdelkarim Khalki sont entendus tout le week-end par les enquêteurs. Inculpés pour tentative d’assassinat, menaces de mort sous conditions sur magistrats et jurés, séquestration, vol avec violences avec armes apparentes ou cachées et complicité, ils encourent la prison à perpétuité. Les 48 heures de garde à vue ont permis de confirmer que la prise d’otages avait été préméditée par Courtois et Khalki en prison. Thiolet et Courtois sont incarcérés au centre pénitencier de Nantes dans l’attente de leur procès.

Face au refus des autorités marocaines de recevoir leur ressortissant, Khalki n’est pas expulsé dans son pays d’origine. D’après des sources proches du ministère de l’Intérieur, la signature de son arrêté d’expulsion avait pourtant été déterminante dans les négociations ayant menée à une issue favorable pour la prise d’otages. Contrairement à ce que les preneurs d’otages ont espéré ou cru, Khalki ne pourra pas échapper au procès en étant expulsé au Maroc. Le Marocain sera finalement jugé avec ses comparses en France.

Le procès des preneurs d’otages se déroule en février 1988. Georges Courtois et Abdelkarim Khalki sont condamnés à 20 ans de réclusion criminelle, Patrick Thiollet à 14 ans. Cette décision met fin à l’une des affaires criminelles les plus marquantes de l’histoire nantaise contemporaine. Encore présente dans les esprits, elle a également laissé son empreinte dans la culture locale. Parmi les multiples références à l’histoire de Nantes qu’il mentionne sur la fresque du Mur tombé du ciel, l’artiste Jean-Luc Courcoult représente Georges Courtois menotté à Dominique Bailhache. Dans leur chanson Gwerz Jorj Courtois, le groupe nantais Tri Yann fait le récit de la prise d’otages à travers une réinterprétation de la chanson populaire Dans les prisons de Nantes.

Noémie Boulay
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes/Nantes Métropole
2025

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