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Les munitionnettes à Nantes pendant la Première Guerre mondiale Ancien marché et patinoire rue de Feltre

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Mythe de la rencontre entre Nicolas Appert et Joseph Colin


Jusqu’en 1985, la question sur une éventuelle rencontre entre Nicolas Appert et Joseph Colin ne se posait pas. À cette date sort le roman Nicolas Appert, l’inventeur de la conserve de Rosemonde Pujol. Elle génère une belle histoire entre les deux hommes, qui aurait abouti à la création de la sardine à l’huile.

Au cours du livre, la romancière décrit les étapes d’un déplacement de Nicolas Appert sur le littoral, à partir de notes d’un carnet de voyage. À Nantes, « […] en arpentant la ville, à force de m’enquérir chez les uns et les autres épiciers, j’ai fait la connaissance de Joseph Colin. Nous avons immédiatement sympathisé. […] Joseph Colin m’offre l’hospitalité. Je passerai la Noël dans sa famille. Ainsi vais-je rester plus longtemps que je ne l’avais prévu à Nantes afin de lui apprendre ma méthode dont il se montre enthousiaste […] ».

Portraits de Nicolas Appert et de Joseph Colin

Portraits de Nicolas Appert et de Joseph Colin

Date du document :

L’histoire est reprise peu de temps après par les chercheurs nantais Phanette de Bonnault-Cornu et Roger Cornu, dans leur publication Pratiques industrielles et vie quotidienne : conserveries et ferblanteries nantaises XIXe siècle – XXe siècle. À l’occasion d’une exposition à Saint-Sébastien-sur-Loire sur « La conserve et sa boîte » en novembre 1989, un article dans la presse locale signale ce travail et met en exergue cette histoire. Et le 8 décembre 1989 une plaque commémorative est inaugurée au 4 rue du Moulin à Nantes sur le lieu supposé de la rencontre. Et l’anecdote du roman devient la vérité.

Plaque commémorative de la supposé rencontre entre Nicolas Appert et Joseph Colin

Plaque commémorative de la supposé rencontre entre Nicolas Appert et Joseph Colin

Date du document : 1989

Peu à peu, des voix se font entendre et émettent des doutes. Si en 1991 l’histoire est reprise dans la presse à l’occasion d’une conférence, l’exposition au Château des Ducs de Bretagne « Comme des sardines en boîtes », elle, ne retient pas ce point. En 1994, Jean-Paul Barbier, spécialiste du sujet, fait paraître une biographie de Nicolas Appert très détaillée et bien documentée, qui aurait dû mettre un point final à l’histoire. Mais rien n’empêche la rumeur de courir. Et elle court toujours…

Couverture de la biographie de Jean-Paul Barbier sur Nicolas Appert

Couverture de la biographie de Jean-Paul Barbier sur Nicolas Appert

Date du document : 1994

Rétablir les faits historiques

L’autrice, Rosemonde Pujol, a 67 ans lors de la parution de son roman. Elle est reconnue professionnellement, très engagée, aussi bien sur les questions de santé, de consommation ou du droit des femmes. Mais non spécialiste d’Appert, ni historienne.

Le livre a le mérite de faire connaître Nicolas Appert au grand public. Hors milieu de spécialistes, il était un peu tombé dans l’oubli. L’ouvrage mélange faits historiques et anecdotiques, faits réels et imaginaires. Concernant Nicolas Appert, Rosemonde Pujol prend soin de distinguer les faits réels, accompagnés d’une note de bas de page, des faits imaginaires, non argumentés. Quelques détails précis donnent de la crédibilité à l’ensemble. La plupart des éléments de la vie d’Appert relève de l’imaginaire, et sur le sujet qui nous intéresse, les carnets de voyage, plusieurs dates, les rencontres, les états d’âme. Même sa succession entretient une erreur commune : dans le roman, Nicolas laisse sa succession à l’un des fils de sa sœur, M. Prieur, qui prend le nom de « Prieur-Appert ». Hors Nicolas n’a pas de sœur ayant eu des enfants. Son véritable successeur, qui s’appelle effectivement Claude Auguste Prieur (1787-1858), a fait ajouter Appert à son patronyme dans un souci de notoriété.

D’autres éléments évoqués dans le roman diffèrent des sources historiques :
- Dans le roman, le voyage sur le littoral atlantique se situe de décembre 1805 à janvier 1806. Les sources documentées fiables le situent l’année d’après.
- L’itinéraire proposé par Rosemonde Pujol est le plus logique, du nord au sud, mais ce n’est pas celui que relate Grimod de la Reynière, contemporain et soutien de Nicolas Appert.
- L’objectif même du voyage est modifié. Rosemonde Pujol le résume en une tournée commerciale d’agents locaux, alors que les préoccupations de Nicolas Appert à l’époque sont très clairement de convaincre la Marine et les armateurs de l’intérêt de son procédé. Il cherche avant tout des fonds pour financer ses travaux de recherche.
- Enfin, point de détail pratique, comment aurait-il pu trouver de la sardine à cette époque, fin décembre, pour faire des essais ?

Joseph Colin n’avait pas besoin de « prendre de cours » auprès de Nicolas Appert. Confiseur issu d’une famille de confiseurs, il produit déjà des sardines « confites » en pots de grès. Depuis 1794, Nicolas Appert parle de son procédé, échantillonne, vend ses produits, y compris chez Lizé à Nantes. Des marins les testent, et des avis sur cette nouvelle façon de faire circulent inévitablement dans de nombreux ports. Cela a probablement suffi à attiser la curiosité de Joseph Colin et à lui donner l’envie de mener ses propres approches. D’autres que lui, outre-manche ou outre-Atlantique, ont eu la même démarche. Voire ont déposé un brevet, comme Thomas Saddington en 1807, avant même que Nicolas Appert ait publié son premier ouvrage.

Un débat de spécialistes sans importance ?

Si ce mythe autour de la rencontre entre Nicolas Appert et Joseph Colin peut sembler mineur dans l’histoire des sciences et des techniques, il ne l’est pas. L’histoire de la conserve comme celle d’autres techniques n’est pas celle d’un maître et de disciples. Nicolas Appert a bénéficié de travaux antérieurs. Citons Papin pour l’autoclave et le débat Needham – Spallanzani sur la génération spontanée.

Et le procédé continue d’évoluer après lui. Sans les enseignements de Pasteur, la conserve aurait pu disparaître. Et quel aurait été son développement sans les vernis de Chantenay (Georget), les perfectionnements de la métallurgie, les sertisseuses ? Quid du développement industriel sans des Colin ou des Deffès ? Comment lutter contre des germes bactériens sans connaître les variabilités de leur résistance démontrée par Tyndall ? Connait-on assez les perfectionnements apportés aux traitements thermiques par les américains Bitting, Bigelow ou Ball, le français Cheftel, et plus proche de nous le breton Mafart ? Et dans l’ombre, combien d’ouvriers, de ferblantiers, de conserveurs, de microbiologistes, de thermiciens ont œuvré pour contribuer à la fiabilisation et à l’optimisation de la technique ? Les recherches continuent, le sujet n’est pas clos.

Qu’est devenue la plaque de la rue du Moulin à Nantes ?

Dans un premier temps la plaque résiste aux doutes émis. Lors de travaux dans le magasin, elle disparaît, puis elle est remise en place. Les faits historiques ayant été rétablis, elle a finalement été retirée. Seule reste la rumeur…

Laurent Venaille
Association La conserve des Salorges à la Lune
2025

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En savoir plus

Bibliographie

Barbier Jean-Paul, Nicolas Appert. Inventeur et Humaniste, Royer, collection Saga sciences, 1994

Summers Malcolm, Nicolas Appert: A Biography of Nicolas Appert 1749 – 1841, Downs Way Publishing, 2015

Webographie

Site internet de l'association La Conserve des Salorges à la Lune Lien s'ouvrant dans une nouvelle fenêtre

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Rédaction d'article :

Laurent Venaille

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