Interview imaginaire de Jules Verne
Et si Jules Verne répondait à quelques questions imaginées par Agnès Marcetteau-Paul, directrice du musée Jules Verne, que nous dirait-il ?
Portrait de Jules Verne
Date du document : 1882
Signe astrologique ? Verseau, étant né un 8 février.
Couleur ? « Cette éblouissante gamme de couleurs » qu’admirent le capitaine Hatteras en découvrant les aurores boréales, et les héros du Rayon vert au soleil couchant.
Parfum ? « Les odeurs fortes » qui se dégagent de la cale des navires, « ces odeurs où l’âcre émanation du goudron se mélange au parfum des épices ». Et sur le pont, les « senteurs marines qui lui font comme une atmosphère d’Océan » alors même que le bateau est à quai.
Sport ? La navigation.
Passe-temps ? Les croisières à bord de paquebots ou de mes propres bateaux.
Vacances ? Les voyages, toujours par voie de mer, que j’ai faits en Angleterre et en Écosse, en Allemagne et en Scandinavie ; aux États-Unis et en Méditerranée.
Votre paradis terrestre ? Une île, naturelle ou artificielle.
Votre paradis artificiel ? L’écriture, « source du seul bonheur véritable ».
A table, quel plat ne faut-il jamais vous servir ? Je ne sais s’il y en eu vraiment un, tant j’ai été gourmand sinon boulimique.
Citez trois personnes vivantes que vous n’accepterez jamais à votre table.
1/ Pendant longtemps, collectivement « toutes les jeunes filles que j’honor[ais] de mes bontés [et qui] se mari[aient] toutes invariablement dans un temps rapproché », mais le temps a apaisé passions et chagrins.
2/ René de Pont-Jest, qui m’accusa de l’avoir plagié en écrivant Voyage au centre de la Terre.
3/ L’ingénieur Eugène Turpin qui me fit un si retentissant procès à propos de Face au drapeau, désagréable affaire dont le talent de Raymond Poincaré sut heureusement venir à bout.
Quel genre d’enfant étiez-vous ? Rêveur, gai et enjoué. L’ « usine d’Indret, nos excursions sur la Loire et les vers que je griffonnais constituaient les trois principaux plaisirs et occupations de ma jeunesse ».
Qui est l’homme ou la femme de vos rêves ? Ceux qui s’intéressent à ma vie et mon œuvre s’accordent en général pour penser que la Stilla, héroïne du Château des Carpathes, est l’expression la plus achevée de ce que fut pour moi la femme idéale, quintessence de toutes celles que j’ai aimées ou rêvées.
Quel est votre personnage historique préféré ? Dans l’Histoire des grands voyages et des grands voyageurs, Christophe Colomb apparaît comme le héros vernien par excellence, celui dont l’audace et la détermination changent l’histoire du monde sans que je cherche à taire « ses idées encore étroites, ses tendances à demi-barbares, ses haines religieuses ». Ce texte est assez important pour avoir fait l’objet d’une publication à part en 1883. On en retrouve de nombreux traits dans le portrait de bien des personnages des « Voyages extraordinaires ».
Votre occupation préférée ? Écrire ou naviguer, ces deux occupations solitaires, me procurent mes joies les plus profondes.
Pour quelles fautes avez-vous le plus d’indulgence ? Toutes celles qui relèvent de ce que l’on qualifie communément d’excentrique. La démesure et l’obstination de ceux qu’un dessein unique habite, contre vents et marées. Je suis cependant conscient, comme je l’ai décrit dans certains romans, qu’une telle attitude peut dégénérer en mégalomanie et folie furieuse au détriment de l’Humanité.
Qui auriez-vous aimé être ? Peut-être finalement un saltimbanque, l’un de ces êtres libres comme mes héros Passepartout et César Cascabel, qui allient fantaisie et liberté d’esprit, goût de l’aventure et sensibilité artistique.
Ce que vous appréciez le plus chez vos amis ? Mes amis ont toujours été, comme moi, passionnés par les lettres et les arts, amateurs de bons mots, irrespectueux à l’occasion.
Qu’avez-vous à vous faire pardonner ? Mes tendances à l’hypocondrie et à l’introversion, mon indépendance forcenée, qui furent souvent difficiles à vivre pour mon entourage.
Le don de la nature que vous aimeriez avoir ? La longévité, afin de pouvoir mener à bien le dessein que je me suis fixé : « peindre la terre entière, le monde entier, sous la forme du roman […] Mais le monde est bien grand, et la vie est bien courte ! »
Votre chanson préférée ? Les « mélodies de l’amitié » dont j’ai écrit les textes et mon ami Hignard, la musique. Et dont certaines sont citées dans les « Voyages extraordinaires » : « Chanson groenlandaise » dans Le Pays des fourrures, « Souvenirs d’Écosse » dans Les Indes noires, « La Tankadère » dans Les Tribulations d’un Chinois en Chine.
Votre écrivain préféré ? « Je suis un admirateur sans pareil du plus grand psychologue que le monde ait jamais connu, Guy de Maupassant ». Et j’apprécie beaucoup les romanciers anglais et américains, en particulier Charles Dickens « que je considère comme le maître de tous ».
Votre film préféré ? Le cinéma s’étant emparé dès ses origines de mon œuvre [Enfants du capitaine Grant en 1901, Voyage dans la Lune (1901) et Voyage à travers l’impossible (1904) de Georges Méliès], elle pourrait bien être un des réservoirs littéraires les plus féconds de cet art naissant.
Qu’aimeriez-vous laisser de vous ? Être reconnu comme un véritable écrivain.
Si vous étiez invisible, que feriez-vous ? Plutôt comme le capitaine Nemo, lorsqu’il apporte son aide aux naufragés de l’Ile mystérieuse, que comme Wilhelm Storitz lorsqu’il sème la terreur.
Que faut-il faire pour vous déplaire ? Mépriser ou s’opposer à mon dessein artistique.
Et pour vous plaire ? Y apporter aide, soutien et compréhension.
Qu’aimeriez-vous changer en vous ? L’hypersensibilité et l’hypocondrie dont j’ai parlé plus haut et qui ont tant fait souffrir mon entourage, mais peut-être furent-elles un des moteurs de ma créativité littéraire.
De quoi êtes-vous le plus fier ? Avoir imposé ma vocation littéraire, but que je m’étais fixé, malgré bien des obstacles et des difficultés.
Qu’aimez-vous à Nantes ? Ce coteau de Loire d’où, enfant à Chantenay, depuis la fenêtre de ma chambre, « l’œil à l’oculaire d’un petit télescope, j’observais le virement des navires, larguant leurs focs et bordant leurs brigantines, changer derrière puis changer devant ».
Et demain, vous faites quoi ? Je me lèverai comme chaque jour à l’aube pour écrire jusqu’à onze heures. Après le déjeuner, l’après-midi sera consacré à la lecture des différents ouvrages qui me fournissent la documentation indispensable à l’écriture de mes romans. Puis la soirée me procurera quelque délassement. Depuis bien des années, seuls les voyages bousculent cet emploi du temps.
Agnès Marcetteau-Paul
2007
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Agnès Marcetteau-Paul
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