Conserveries Deffès
13 ans après les débuts de Pierre Joseph Colin, un autre Nantais, François Deffès, donne une nouvelle impulsion au développement de la conserve, avec deux apports majeurs. Son histoire ne peut être dissociée de celle de son frère, également prénommé François. Son activité nantaise est liée à celle qu’il développe sur la presqu’île guérandaise.
Arrivée des Deffès à Nantes
Les parents, Jacques Guillaume Deffès et Marie Bernarde Latou habitent Rieumes en Haute-Garonne. Leurs deux fils naissent dans cette commune, François « Aîné » en 1799, François « Jeune » ou « Cadet » en 1802. Deffès père est marchand. Le couple est exproprié le 3 novembre 1824, quitte Rieumes, et la famille se regroupe à Nantes, probablement en 1827. Ils habitent alors rue de la Bourse. Jacque Deffès reprend un commerce de « marchand de bonbons sur échoppe ». Son épouse décède peu après.
Les deux frères exercent ensemble ou séparément dans le négoce, la faïence, la bimbeloterie et la conserve, ce qui complique la reconstitution de leurs parcours, d’autant plus qu’ils portent le même prénom. Deffès père, souvent domicilié chez le cadet, participe à leurs affaires, jusqu’à son décès en 1849.
François Deffès Aîné (1799, Rieumes – 1871, Paris)
Lors de son mariage avec Perrine Gillette Gautier, en 1827 à Nantes, François Deffès Aîné est commis négociant. Associé à son frère, il ouvre peu après un magasin de faïence et de bimbeloterie, le « Bazar Nantais ». La société est dissoute en 1837, puis François Deffès Aîné ouvre seul un commerce de bibelots situé « entrée de La Fosse ». Il rejoint l’activité de conserveur de son frère en plein essor à une date inconnue, mais on trouve bien mention de la société « Deffès Frères » dans des correspondances officielles de 1845. Ils sont associés dans une même société « Deffès et Cie » quelques mois, entre 1846 à 1847. Peut-être prend-il à cette époque la gérance ou le bail d’une presse à sardines – conserverie, à La Turballe ? En 1849, lors du décès de Perrine, le couple réside à Piriac mais est domicilié à Chantenay. François Deffès Aîné se remarie en 1850 avec Rosalie Emmanuelle Lelièvre. Il poursuit un temps sa double activité de conserveur à La Turballe et de négoce à Nantes, puis à Saint-Nazaire vers 1858, et enfin Paris vers 1869 où il décède en 1871.
François Deffès Jeune (1802, Rieumes – 1858, Nantes)
En 1827, François Deffès Jeune est déjà déclaré comme confiseur. Il se marie à Piriac, le 24 novembre 1828, avec Émilie Françoise Bruneau. De 1829 à 1835, il est recensé à Nantes, 12 Haute-Grande-Rue, comme « confiseur-pâtissier ». En 1835, son fils décède quelques semaines après sa naissance.
Après plusieurs années de tâtonnements, les années 1836 1837 marquent le départ de son activité « industrielle » à Chantenay et à Piriac. À partir de 1838, il est recensé à Chantenay, 23 rue de la Montagne, et y reste jusqu’à son décès en 1858. Il est maire de la ville de 1843 à 1848.
Signature de François Deffès jeune en 1845, alors Maire de Chantenay
Date du document : 30/08/1846
Les débuts de François Deffès Jeune dans la conserve
D’après ses propres déclarations, Deffès Jeune a débuté ses premiers essais de conserves à Piriac. Lors d’une enquête administrative sur son établissement dans cette commune, il évoque sa « friture de sardines, que je fais depuis 1829 ». Ce que confirme le sous-préfet de Savenay : « Antérieurement cette confiserie qui avant 1834, n’avait aucune importance était faite dans une des bâtiments de Kerjean, éloigné de 350 mètres de toute autre habitation. » Ces premiers essais interviennent donc juste après son mariage à Piriac, en parallèle de son activité de confiserie-pâtisserie-négoce qu’il exerce à Nantes.
À peu près à la même époque, probablement en 1834, il construit un atelier au « Pâtis de la Fournillière » à Chantenay pour y développer d’autres fabrications. Nous manquons de précisions sur cette période.
Lieux possibles du premier atelier Deffès à Chantenay et fenêtre de l’atelier
Date du document : 1833 et 1936-1937
Dès le début de l’année 1837, François Deffès Jeune est reconnu parmi ses pairs : « Il n’est pas inutile de dire ici que la consommation des conserves alimentaires s’est considérablement étendue, aussi les fabriques de ces aliments si précieux à cause de leur salubrité se sont-elles multipliées. Nous en comptons quatre à Nantes : d’abord, celle de M. Colin, aux Salorges, le premier qui se soit livré à ce travail et qui a été longtemps sans rivaux ; ensuite M. Millet, rue Santeuil, près de la poste ; M. Bertrand, quai de la Fosse, et M. Deffès Jeune, à la Ville-en-Bois. Cette dernière fabrique est établie depuis peu, et déjà ses produits sont mis auprès de ceux de ses devanciers. » (L’Ami de la Charte du 9 février 1837)
L’ascension
Le véritable démarrage de la conserverie Deffès semble donc se situer vers 1836. L’activité se divise en deux branches : la production de sardines à Piriac et celle de viandes, plats cuisinés, légumes et fruits à Chantenay.
Les affaires marchent suffisamment bien pour que Deffès Jeune abandonne son magasin de confiseur Haute-Grande-Rue à Nantes. Située à proximité des lieux de pêche, la production de Piriac lui donne des avantages qualitatifs, logistiques et économiques considérables. Le pari est osé mais jouable avec le soutien indéfectible d’un ferblantier. Son choix est bientôt suivi par tous les conserveurs.
En 1838, il est domicilié à La Musse, et en 1843, il s’installe au 23 Mont Saint-Bernard (actuel 43 rue de la Montagne) dans une grande maison qu’il fait construire, sur une parcelle où il établit également son usine. Si l’usine a disparu, la maison existe toujours.
Ex-maison Deffès, 43 rue de la Montagne
Date du document : 2025
Les affaires sont florissantes. Pour son activité ou ses biens propres, Deffès Jeune multiplie les achats immobiliers, à proximité de l’usine (1845) ou de l’autre côté de la rue (1847), mais aussi à Nantes, rue Menou, rue de la Bastille, à Bouguenais (une maison, deux métairies, quelques pièces de terre couvrant une superficie d’environ 38 hectares). Cette réussite se fait grâce à des méthodes qui ne sont pas toujours du goût de ses concurrents, comme la contrefaçon des conserves de Joseph Colin ou les avis mensongers dans la presse à l’étranger.
En 1844, à Piriac, un bras de fer s’engage avec l’administration sur la mise en conformité de ses installations, mais Deffès Jeune passe en force et poursuit son activité. Quelques années plus tard, les relations avec les représentants de l’État sont toujours aussi tendues concernant l’établissement de la rue de la Montagne à Chantenay.
Mise en conformité des installations des usines Deffès
Date du document : 1849-1850
En 1846, un incendie détruit en partie l’usine rue du Mont Saint-Bernard. On apprend au passage que bon nombre de produits en stock sont en bocaux ou en bouteilles, malgré son choix affiché pour le fer-blanc. Les pertes liées au sinistre sont principalement dues à un stock de truffes évalué à 18 000 francs.
Durant cette période, Deffès Jeune poursuit aussi le négoce avec des entrées au port de Nantes, de conserves venant de Bordeaux, du sucre, de la bière, du vin rouge, du café, du froment, des balais de millet, etc.
Une relation gagnant-gagnant avec son fournisseur de boîtes
On attribue en général l’idée de la boîte de sardines en fer-blanc à François Deffès Jeune qui aurait défini un cahier des charges précis au ferblantier Jean-Marie Vedry. C’est plausible, mais d’autres ferblantiers existent à l’époque, comme Jean-Baptiste Delmas qui fournit Colin depuis plus de dix ans, et tous redoublent d’ingéniosité pour répondre à ce marché en développement. Le choix d’une boîte parallélépipédique est assez naturel…
Les « confiseurs » comprennent vite que la maîtrise de l’emballage est capitale pour leur marché. En convaincant Jean Tessier, gendre et successeur de Jean-Marie Vedry, de s’installer en 1846, en face de chez lui rue du Mont Saint-Bernard sur un terrain qu’il acquiert, Deffès Jeune démontre l’intérêt de cette proximité. C’est l’ancêtre du « wall to wall » pratiqué plus tard dans le métier. Les deux affaires vont tant s’imbriquer l’une à l’autre, qu’il est nécessaire, en 1854, de dissoudre la société verbale existant entre Jean Tessier, ferblantier au Mont Saint Bernard, François Deffès Jeune, fabricant de conserves alimentaires, et Joseph Saunier, marchand de porcelaines demeurant à Nantes sur La Fosse.
Deffès Frères
Le 29 octobre 1846, les frères Deffès et un apporteur de capitaux, Simon Charles Martiny demeurant rue Dobrée à Nantes, forment une société pour l’exploitation de la fabrique de conserves alimentaires située au Mont Saint-Bernard et de celle de Piriac. La raison sociale est Deffès Frères. Moins de six mois plus tard, le 22 avril 1847, Deffès Aîné se retire, et la société devient Deffès et Cie.
L’usine de La Turballe
Alors que les deux frères continuent à travailler ensemble, ce retrait de l’affaire commune peut paraître surprenant. Tout comme l’absence de mention de l’usine de La Turballe dans les actes de Deffès Jeune, alors que « l’usine Deffès » fait bien partie de la mémoire turballaise. Il se pourrait que François Deffès Aîné ait quitté Deffès Frères début 1847 pour reprendre en gérance ou à bail une presse à sardines à La Turballe appartenant à Jean Marie Baratoux. Il est possible qu’il ait investi le matériel nécessaire pour y développer une conserverie complémentaire à celle de son frère à Piriac.
Parcelles de l’usine Deffès de La Turballe
Date du document : 1818
Les difficultés, puis la faillite
Les années 1847 à 1850 sont techniquement difficiles pour Deffès Jeune avec des taux de produits défectueux importants, liés à des instabilités non maîtrisées et donc des pertes. Avec ses confrères, il réussit à passer ce cap. Il identifie aussi la nécessité de répartir son activité sur le littoral pour faire face aux irrégularités saisonnières de la sardine. Le 6 juin 1855, il dépose une demande de création de conserverie à Croix-de-Vie.
Mais la concurrence est rude, en particulier sur les marchés nord-américains où Deffès est très présent. Les marges diminuent. Les délais de paiement passent à 90 jours après livraison. Pour emporter certains marchés, il s’engage auprès d’importateurs à couvrir la différence si les prix venaient à chuter, ce qui arrive et entraîne de nouvelles pertes. Est-il aussi affecté par la faillite de son associé, Charles Martiny, en 1856 ?
La position embarrassée de Deffès Jeune est constatée bien avant la faillite. Il y a des tentatives d’arrangement, comme le 17 décembre 1857 quand un projet de liquidation générale et amiable est consenti par un grand nombre de créanciers. Rien n’y fait. La faillite est prononcée le 25 janvier 1858, ramenée au 16 novembre 1857. François Deffès décède le 26 février 1858. Le site de la rue de la Montagne est repris par Pierre Flon pour une nouvelle saga de la conserverie nantaise.
L’apport de Deffès
S’il peut y avoir débat sur la forme, François Deffès Jeune, sur le fond, a donné un nouvel élan à l’activité créée par Colin. Comme lui, il a osé développer ses productions de conserves à grande échelle dès ses premiers pas assurés. Mais il a en plus montré l’intérêt à se rapprocher des lieux de production en développant des outils sur le littoral. Il a également établi les effets positifs d’une bonne synergie et d’une proximité entre le conserveur et son fournisseur de boîtes métalliques, sur son site principal, comme sur les sites saisonniers. Ces idées sont reprises par nombre de ses confrères dans la seconde moitié du 19e siècle.
Laurent Venaille
Association La Conserve des Salorges à la Lune
2025
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Laurent Venaille
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