Ancien jubé ou façade du chœur de la cathédrale de Nantes
La monumentale « façade du chœur » de la cathédrale construite dans les premières années du 17e siècle, détruite en 1876 lors de la construction du chœur néo-gothique, est connue par quelques dessins, gravures et photos ainsi que par des mentions archivistiques. Elle se situait en avant de la croisée du transept, entre la nef gothique construite à partir du 15e siècle et le chœur des 11e / 12e siècles. Comme dans beaucoup d’édifices religieux, un jubé de bois séparait la nef du chœur.
Le jubé avait une fonction liturgique : dissocier les deux espaces qui accueillaient des publics distincts, porter de petits orgues et surtout les ambons (pupitre placé à l’entrée du chœur depuis lequel est lue la Bible pendant la messe).
La destruction de l’ancien jubé de la cathédrale
Lors du concile de Trente (1545-1563), un certain nombre de nouvelles règles liturgiques furent adoptées. Ainsi, les évêques souhaitant que les fidèles puissent assister plus étroitement à la célébration de l’Eucharistie que le jubé cachait en partie, il fut décidé de détruire ces jubés. Or, depuis son élection, l’évêque de Nantes, Charles de Bourgneuf de Cucé (1598-1617), promouvait l’adoption du concile de Trente en France. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait pris la décision de faire détruire ce jubé (1612). Cependant, alors, le chœur roman bas et sombre devenait beaucoup plus visible et contrastait très fortement avec le nef haute et claire. Il n’était pas possible à l’évêque de construire alors un nouveau chœur mais il fallait mettre en valeur l’espace liturgique le plus sacré de l’édifice. L’évêque de Nantes opta alors pour l’édification, en 1616, d’une « façade de chœur », pour reprendre les termes contemporains, en avant de la croisée du transept. L’accès à la partie la plus sacrée était ainsi ennoblie tout en étant partiellement masquée.
Représentation de la façade du chœur de la cathédrale de Nantes
Date du document : 19e siècle
Un arc de triomphe
Comme en témoignent les dessins réalisés dans les premières années du 19e siècle, il s’agissait d’un très haut arc triomphal en plein cintre dont les piles étaient divisées en quatre parties inégales. Au niveau du soubassement étaient placés des autels mineurs, l’un dédié à saint Charles – le saint protecteur de l’évêque commanditaire –, et l’autre à la Vierge, dont l’importance fut rappelée pendant le concile de Trente ; les vocables des autels sont rappelés sur un plan du 18e siècle. Les piles stricto sensu de l’arc étaient rythmées par une superposition des ordres : des pilastres cannelés doriques dans la partie basse, des colonnes ou pilastres cannelés ioniques, légèrement moins hauts dans la section médiane et des supports corinthiens cannelés encore moins élevés au troisième niveau ; les dessins restent imprécis en ce qui concernent les supports (colonnes ou pilastres) des deuxièmes et troisièmes niveaux.
L’enrichissement du décor allait de pair avec celui des ordres. Au premier niveau, était placée au centre de chacune des piles une statue dans une niche au-dessus de laquelle était positionné un blason porté par des anges. Des triglyphes et métopes surmontés d’une petite corniche complétaient ce premier niveau. Au deuxième niveau, dans l’axe des niches était percée une baie en plein cintre décorée d’une clef saillante. Des feuilles d’acanthe stylisées décoraient les murs de part et d’autre des pilastres et le soubassement de ces supports. L’allège de la fenêtre était également décorée de triglyphes. Le troisième niveau était organisé de la même manière que le second mais le décor y était encore plus abondant et un fronton dont le cintre était rompu couronnait l’ensemble et interrompait l’architrave très richement décorée.
Schéma de la partie basse de la façade du chœur de la cathédrale de Nantes
Date du document : 2025
Au-dessus de la corniche saillante, trois pleins-de-travée structuraient la partie haute et alternaient avec des petites arcades placées en retrait. Dans l’axe des piles latérales était également disposé un petit édicule rectangulaire décoré d’un cuir et surmonté d’un fronton en plein cintre rompu. Du tympan de cet élément partait une petite pyramide dont la base était décorée de la tête d’un chérubin. Enfin, la partie centrale de la partie haute était composée d’un édicule rythmé par deux pilastres – ou colonnes – d’ordre mixte placés de part et d’autre d’une arche en plein cintre. Les murs contre lesquels étaient aménagés ces supports étaient très richement décorés de grotesques, un type d’ornement originaire de la Rome antique composé de scènes fantastiques mêlant feuillages, figures animales et humaines, largement repris à partir des premières années du 16e siècle. Les piédroits et la voussure de l’arche centrale étaient décorés du même motif.
Schéma de la partie haute de la façade du chœur de la cathédrale de Nantes
Date du document : 2025
Cette partie centrale était surmontée d’un fronton en ailerons avec, en son centre, une tête d’angelot inscrite dans un cartel surmonté d’un petit fronton en plein cintre au-dessus duquel était disposé un pot à feu. Ce motif décoratif se trouvait également en retrait des rampants du fronton du dernier niveau. Les gaines des supports et le décor des écoinçons enrichissaient cette partie haute surmontée d’un demi-fronton en plein-cintre à enroulements.
Un décor fastueux
Cette « façade de chœur » constituait un décor somptueux pour l’entrée du sanctuaire. Elle se voyait d’autant mieux qu’elle était placée sur un emmarchement de cinq degrés en pierre de grison alors, qu’outre le soubassement, cette « façade » était en tuffeau. Elle devait attirer le regard vers le sanctuaire tant par sa hauteur – la partie haute arrivait au niveau du triforium – que par la richesse de sa décoration. Les proportions canoniques n’étaient certes pas respectées mais la taille de la construction put conduire l’architecte à apporter quelques aménagements aux règles. Surtout, la richesse du décor n’est pas sans rappeler les dispositifs mis en œuvre lors des entrées royales, une architecture éphémère parfois diffusée par la gravure comme ce fut le cas pour l’entrée d’Henri II à Paris, gravée par Jean Martin (1549). Les motifs sculptés pouvaient également trouver leur source non dans l’art religieux – excepté pour les statues des niches et les quelques figures d’anges – mais dans la théorie architecturale. Ainsi, les grotesques et feuilles d’acanthe sont des motifs antiques remis à l’honneur dans les premières années du 16e siècle en Italie. Les frontons en plein cintre brisés furent vraisemblablement repris du Livre extraordinaire de l’architecture de Sebastiano Serlio (Lyon, 1551) dans lequel sont présentés 50 portes aux motifs variés ou du Premier tome de l’architecture (1567) de Philibert de l’Orme qui fait régulièrement référence aux œuvres de Michel-Ange.
Ancien jubé de la cathédrale, aujourd'hui démoli
Date du document : vers 1890
Les artistes à l’œuvre
L’artiste qui a donné ces dessins était donc au fait des plus grandes innovations décoratives de son temps. Plusieurs noms sont parvenus jusqu’à nous. Dans les archives, Guillaume Belliard est qualifié de « maitre architecte et enrichisseur d’ornements en la façade d’architecture ». Ce bâtisseur avait déjà bâti une maison à Angers (1614) avant de s’installer à Nantes. Après la construction de la « façade de chœur », il participa à l’édification du bras sud du transept de la cathédrale (1626) avec René Lemeunier, Léonard Malherbe et Jacques Corbineau, dont il épousa la fille, Andrée, en secondes noces (1632). Puis, il construisit un retable (élément décoratif sculpté et parfois peint, disposé en arrière de l’autel pour le mettre en valeur) lavallois dans la cathédrale de Vannes (1636-1637) et dans l’abbatiale Saint-Aubin de Guérande (1652-1653). D’autres noms apparaissent dans les textes – Christophe Prandeau, Jacques Prandeau, Jacques Gay, Denys Quantiteau et François Savary – maîtres maçons et architectes auxquels sont confiées la destruction du jubé et l’édification de la façade. Cependant, aucune autre œuvre n’est à ce jour attestée à ces hommes, contrairement à Guillaume Belliard. Aussi est-il possible que cet arc triomphal soit du dessin de Belliard, ce que confirmeraient stylistiquement ses œuvres postérieures. Les autres artisans cités auraient été les bâtisseurs de cette œuvre monumentale, très riche en décoration.
Par cette construction, très originale, l’évêque de Nantes répondait aux principes du concile de Trente tout en montrant combien l’Église de France était novatrice dans les formes. Cette métamorphose du chœur fut d’ailleurs complétée par la construction d’un retable inauguré par Philippe de Cospéau en 1623 et par des peintures dans le chœur (cul-de four et colonnes) réalisées par Charles Errard (1570-1628) à la demande des chanoines dans les mêmes années.
Hélène Rousteau-Chambon
LARA-UMR 6566-CReAAH
Nantes Université
2025
Album : Ancien jubé ou façade du chœur de la cathédrale de Nantes
En savoir plus
Bibliographie
James Jean-Paul (dir.), Nantes, la grâce d’une cathédrale, Strasbourg, La Nuée Bleue, 2013.
Jouan Jessy, Une dynastie d'architectes-sculpteurs : les Corbineau, thèse soutenue en 2023 à Nantes Université, sous la direction de Hélène Rousteau-Chambon.
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Rédaction d'article :
Hélène Rousteau-Chambon
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