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Étrangers Le dessous des sols : fouille archéologique de la ZAC du Pré Gauchet – Îlot 5D

Enfants nantais pendant la Première Guerre mondiale


Dès le déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914, les enfants des 44 écoles nantaises avaient été mobilisés pour participer à l'effort de guerre sur le front de l'arrière.

La lassitude d’une guerre interminable

Petits guerriers, les enfants nantais étaient engagés dans d'innombrables œuvres et abreuvés d'enseignements patriotiques. Ils avaient la noble mission de diffuser le discours officiel auprès de leurs parents. Ainsi, ils contribuaient au maintien du moral des adultes. Mais contrairement aux prévisions optimistes, la guerre s'éternise. En 1918, elle est devenue, selon un maître, « un état ordinaire ». La situation de guerre s'est banalisée et la fièvre patriotique qui s'était emparée des écoles en 1914 s'effondre quatre ans plus tard.

Affiche Emprunt de la Défense Nationale

Affiche Emprunt de la Défense Nationale

Date du document : 1915

Désormais, le discours du maître se heurte à la réalité quotidienne vécue par les élèves. Les petits guerriers héroïques de 1914 sont devenus des victimes en 1918. La guerre a étendu ses ravages dans une population civile frappée par le deuil, les restrictions, l'angoisse pour les proches qui se battent sur le front, souffrent dans les hôpitaux et dans les camps de prisonniers. Les enfants, en l'absence du père et délaissés par leur mère travaillant de longues heures à l'usine ou dans les champs, n'adhèrent plus à l'enseignement patriotique du maître. Les réfugiés, les soldats mutilés, les veuves qu'ils côtoient quotidiennement dans les rues de Nantes, leur statut de pupilles de la nation (statut attribué aux enfants de moins de 21 ans dont au moins un des parents a été tué ou blessé pendant la guerre), le froid de cet hiver 1918 qui les transperce, la faim qui les tenaille sont autant de démentis au discours de l'instituteur sur l'héroïsme de combattants supposés apporter une victoire maintes fois annoncée et toujours reportée. Les tableaux de soldats morts pour la patrie accrochés sur les murs des classes ou dans les halls d'entrée des écoles s'étoffent de noms toujours plus nombreux et les rédactions que les écoliers offrent à leur mémoire racontent davantage le deuil que l'héroïsme. Dans une classe d'un cours supérieur un devoir n'inflige t-il pas aux élèves des « Méditations sur les tombes des soldats » ?

Affiche du troisième emprunt de la Défense Nationale

Affiche du troisième emprunt de la Défense Nationale

Date du document : 1917

Des conditions de vie difficile

Les offensives allemandes du printemps 1918 sapent une nouvelle fois le moral d'une population qui s'est installée durement dans une guerre dont elle ne voit plus l'issue. Elle n'en perçoit que les effets pervers d'une vie quotidienne dégradée dont les enfants sont les premières victimes. Les écoles témoignent de cette dégradation des conditions de vie. Les instituteurs et les institutrices sont en effet chargés de distribuer les cartes de sucre depuis le mois de février 1917, les cartes de charbon depuis le mois de décembre et les cartes de pain à partir du 1er mai 1918. Les restrictions sont telles que malgré la hausse des prix, les rations attribuées aux élèves dans les cantines s'appauvrissent. Ils sont même contraints d'apporter le pain qui n'est plus fourni. Les parents retirent leurs enfants de ces cantines qui ne sont plus en mesure de les nourrir convenablement. Les maîtres observent navrés leurs élèves affaiblis, incapables de suivre les leçons. À la faim s'ajoute le froid du rigoureux hiver 1918. Faute de charbon, les classes ne sont pas toujours chauffées et le travail scolaire doit s' en accommoder tant bien que mal.
 

Cartes individuelles d'alimentation, tickets de pain

Cartes individuelles d'alimentation, tickets de pain

Date du document : 22/11/1918

Lutter contre la délinquance juvénile

Les cantines des écoles ne sont pas les seuls lieux désertés. Les garderies d'été connaissent le même sort. Les cours de récréation où les enfants jouaient sous la surveillance des maîtres n'offrent plus d'attrait. Au fil des ans, les garderies se sont dépeuplées. Les mères préfèrent envoyer leurs enfants dans les familles à la campagne, les mettre au travail dans les champs, dans les usines du quartier ou les confier aux patronages catholiques qui offrent un encadrement et des distractions qui dépassent largement le cadre d'une cour de récréation. Un industriel, Louis Amieux, offre son parc de la Chaumière aux enfants des écoles publiques et privées de Saint-Martin de Chantenay ainsi qu'aux orphelins de guerre. En août et septembre 1917, 500 à 600 enfants fréquentent le parc. Le succès de cette garderie repose sur les multiples occupations proposées et sur le goûter offert gratuitement. La garderie est reconduite à l'été 1918. La date d'ouverture est fixée au 5 août. 

L'inspecteur de l'enseignement primaire de Nantes, Eugène Aubisse, reconnaît le rôle important des patronages privés confessionnels et du parc de la Chaumière. Ces institutions ont permis, en partie, de préserver les enfants des quartiers populaires des dangers de la rue.

Façade Nord du château de l'abbaye

Façade Nord du château de l'abbaye

Date du document : 1890-1920

En cette année 1918, les absences non motivées ne cessent de croître. Dans les classes comme dans les garderies et les cantines, les effectifs fondent. En l'absence des mères, les plus grands sont chargés de garder les cadets et d'accomplir les tâches ménagères. Les institutrices s'obligent parfois à effectuer des rondes pour recueillir les enfants attirés par les rêves d'aventures de l'école buissonnière. Les rêves s'achèvent parfois au fond de la Loire ou dans les commissariats de police.

Des enfants envoyés au travail

La délinquance, notamment sur les quais, nourrit d'abondants articles dans la presse nantaise. Mais surtout, les élèves des quartiers populaires désertent l'école parce que le salaire des femmes ne suit pas la forte hausse des prix. L'intensification de la guerre sous-marine allemande, l'approvisionnement prioritaire du front et un hiver rigoureux obligent non seulement à rationner la population, mais elles nourrissent aussi l'inflation. À Nantes en 1918, les prix ont augmenté de 169% depuis 1914. Pendant la même période, le pouvoir d'achat a baissé de 16%. 

Dans ces conditions, l'école n'est plus une priorité pour les enfants des milieux populaires. Dès les premiers beaux jours, le chemin des champs où la main d’œuvre fait défaut et supplante celui de l'école. On n'attend pas le 30 juillet pour envoyer les enfants à l'atelier ou à l'usine du quartier. Ils sont embauchés souvent avant d'atteindre l'âge légal. À 12 ans, voire moins, ils quittent la maison pour gagner les quelques sous qui permettent de compléter le salaire insuffisant d'une mère épuisée par les longues heures quotidiennes imposées en ces temps de guerre.

Un nouvel espoir suscité par l’entrée en guerre des États-Unis

Peu motivés par un discours patriotique seriné par les maîtres et qui finit par lasser ; malmenés par les effets pervers d'une guerre interminable qui les prive d'une enfance pleinement vécue, les écoliers recherchent l'évasion et délaissent les leçons et les devoirs. Aux mauvaises nouvelles du front au printemps 1918 succède l'espoir d'une issue victorieuse matérialisée par une présence américaine qui ne cesse d'enfler à Nantes. Engagés depuis avril 1917 dans la guerre, les États-Unis envoient des milliers de soldats en Europe prêter main forte aux troupes alliées. Les camps, les passages de convois, les concerts des musiciens noirs et même l'hôpital qui accueille les sammies (surnom donné par les Français aux soldats américains pendant la Première Guerre mondiale) sont autant de terrains d'aventures où les enfants se plongent avec délice au cours de l'été et de l'automne 1918.

Distribution de chewing-gum par un policeman américain aux enfants d’école primaire de Nantes

Distribution de chewing-gum par un policeman américain aux enfants d’école primaire de Nantes

Date du document : 1918

L'aide américaine contribue à la retraite allemande inéluctable après les contre-attaques de l'été. La victoire se dessine au moment où une dernière violence est infligée aux combattants et aux civils frappés par la grippe espagnole. Les rangs s'éclaircissent encore dans les écoles. De nombreux enfants sont malades. Pour éviter la contagion, redoutable pour les jeunes adultes, les écoles sont fermées du 18 octobre au 18 novembre. C'est donc à la maison que les jeunes écoliers apprennent la signature de l'armistice. En cette dernière année de guerre, ils n'auront pas eu l'occasion de se réunir au cimetière de la Bouteillerie, comme les années précédentes, pour se recueillir sur les tombes des soldats morts pour la patrie, rassemblées dans un quartier qu'on leur a consacré.

À l'été 1918, l'espoir renaît. Avec l'appui des Américains, on entrevoit la fin d'une guerre qui a trop durée. Quelques maîtres constatent même une amélioration de l'attitude des élèves. Ils se montrent plus appliqués en classe. L'armistice, nourrit les rapports des enseignants. Si les maîtres saluent plus volontiers la victoire et décrivent les scènes de liesse qui embrasent les rues et les places de Nantes, les institutrices soulignent davantage ce qu'elles nomment « la fin du terrible cauchemar ». Les larmes du deuil se mêlent à la joie de la victoire. C'est avec un immense soulagement que l'issue de la guerre est accueillie. Les restrictions demeurent et la reprise d'une vie de paix est une longue voie sur laquelle les écoliers et la population nantaise doivent cheminer.

Yves Jaouen
2023



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