Monotype de la Loire : la renaissance

« Il y a évidemment un intérêt historique à reconstruire le Monotype de la Loire. Qu’il s’agisse de reconstructions ou de grosses restaurations, j’aime les bateaux qui passent le cap du centenaire, des ouvrages en bois qui continuent d’exister, qui sortent de la mémoire pour redevenir palpables ».

Celui qui s’exprime ainsi, c’est Thomas Esteves, formateur chez Skol ar Mor pour le niveau 3 (CAP). Depuis la rentrée de septembre 2024, il encadre une équipe de stagiaires qui s’activent avec rigueur et passion à la réalisation du Projet Talma, la renaissance du Monotype de la Loire. Le bateau portera en effet le nom de Talma, le prénom de l’architecte naval qui a conçu ce bateau à la demande des régatiers nantais du SNO (Sport nautique de l’Ouest) dont le premier fut Gaston Brunet avec Ou-Ké-Ti. Avant même que la création de la série ne soit décidée.

« Il y a aussi un intérêt pédagogique, poursuit Thomas Esteves, parce que construire un bateau avec un haut niveau de complexité, cela crée une forte motivation : un petit voilier classique avec retour de galbord*, une charpente technique, un lest à couler… D’ailleurs, quand nous avons proposé aux stagiaires de choisir entre deux projets, le Talma a remporté la majorité des suffrages. Mais les stagiaires sont aussi portés par l’aspect historique et patrimonial parce qu’ici nous avons eu la chance d’avoir les mêmes essences de bois que celles qui étaient utilisées à la fin des années 1920 avec les mêmes méthodes que nous avons pu remettre en pratique. Cela montre que, 100 ans après, on peut construire avec les mêmes méthodes et avec succès. »

Une reconstruction très fidèle

Mais, pour arriver à ce résultat, il aura fallu le concours de plusieurs corps de métier : les charpentiers bien sûr mais aussi un voilier (X Voiles à la Baule) et, au départ, un autre architecte naval et non des moindres, François Vivier, qui a « interprété » les plans de Talma Bertrand : « La revue nautique Le Yacht, rappelle François Vivier, a publié à l’époque le plan du Monotype de Loire et fourni quelques informations importantes sur le dimensionnement de sa charpente et de son gréement, ce qu’on appelle les échantillonnages. Ces plans ont nécessité un peu de travail pour retrouver la précision nécessaire à une nouvelle construction et redessiner quelques détails dans l’esprit des pratiques de l’époque, mais ils ont permis une construction très fidèle aux monotypes historiques. Seules quelques adaptations aux moyens d’aujourd’hui ont été faites : lest plomb au lieu de fonte pour lequel il n’existe plus guère de fournisseurs, voiles en polyester à défaut des toiles de coton d’Égypte de l’époque, tout en respectant l’aspect des voiles d’autrefois coupées à laizes étroites. »

Pour François Vivier, « alors même que ce bateau a été initialement conçu pour être économiquement accessible dans le contexte de l’époque, il s’est effacé quand des techniques de construction plus modernes et plus faciles à mettre en œuvre sont apparues. Pourtant, c’est un voilier qui devait procurer à son barreur et ses équipiers un grand plaisir, fin à barrer, remontant magnifiquement au vent. Voilà en tout cas les qualités que l’on anticipe et que l’on a hâte de vérifier, sur l’Erdre comme sur la côte. »

Et l’architecte naval, aux multiples réalisations, de poursuivre : « Un bateau, quel que soit son mode de construction, exposés aux éléments, à la mer, au soleil, à la pluie, aux aléas de la navigation, a une durée de vie considérablement plus limitée – en gros une trentaine d’années – que d’autre objets du patrimoine (NDLR : à la différence d’hier, ces objets du patrimoine commun sont aujourd’hui entretenus régulièrement, voire protégés par inscription ou classement). C’est pourquoi, construire une réplique de ces bateaux pas si anciens est précieux. Cela permet de perpétuer des savoir-faire d’une grande richesse qui, de quelques arbres, donnent naissance à un bateau et qui sont le résultat de siècles d’améliorations successives. Construire Talma n’est pas seulement redonner naissance à un Monotype de la Loire, mais c’est aussi pérenniser le métier de charpentier de navire et un art de naviguer autrement que sur les productions industrielles d’aujourd’hui. »

Des qualités nautiques confirmées

La construction de Talma aura duré dix mois, soit la durée de la formation (CAP) délivrée par Skol ar Mor. Et, le 26 juillet 2025, le bateau a touché l’eau pour la première fois lors de la fête de fin d’études organisée au petit port de Kercabellec sur la commune de Mesquer (44) où le centre de formation a son siège.

Après quelques réglages, le 6 août 2025, Talma a été livré à l’association Erdre Voiles Passion (EVP) qui en est désormais la propriétaire. Mis à l’eau sur l’Erdre, au SNO (Sport Nautique de l’Ouest), à Port-Breton (Carquefou), les membres d’EVP ont eu la confirmation des qualités de ce bateau telles que les témoignages de l’époque l’affirmaient : élégant (chacun jugera), vif et rapide. D’un poids de 900 kilos « tout mouillé », les 22 mètres carrés de voilure au près permettent à ce petit bateau de « décoller » au moindre souffle d’air avec une stabilité incroyable pour un petit quillard et une capacité à virer étonnante.

Autre date importante : le 27 août 2025, en préambule aux Rendez-vous de l’Erdre auquel Talma a participé à la place d’honneur, le Monotype de la Loire renaissant a été officiellement présenté au sec dans le cadre verdoyant de l’Île de Versailles. L’occasion de remercier toutes celles et tous ceux qui ont contribué financièrement ou techniquement à sa réalisation, en premier lieu Nantes Métropole et la Ville de Nantes dont les représentants ont tout de suite compris le sens de la démarche : redonner à voir un (petit) joyau de la construction nantaise de plaisance classique avant que la Seconde Guerre mondiale puis l’arrivée du contreplaqué marine ne mettent un frein à de telles productions.

C’est bien un témoin de ces savoir-faire qui a été ressuscité. Et peut-être donnera-t-il envie à d’autres passionnés, aimant naviguer sur des bateaux de caractère, de se lancer dans la construction d’autres unités du Monotype de la Loire ? Un petit bateau de régate nantais, tellement nantais !

Franck Barrau
Association Erdre Voiles Passion
2025

*Galbord : élément de charpente longitudinale constitutif du bordé, placé juste au-dessus de la quille qui porte le lest. C’est une pièce très complexe à réaliser et à placer car elle est contrainte dans tous les sens, dans la longueur comme dans la largeur.

> En savoir plus sur l’histoire du Monotype de la Loire
> Découvrir des photos du lancement du chantier de construction de Talma, monotype de la Loire, chez Skol ar Mor
> Site internet de Erdre Voiles Passion
> Site internet de Skol ar Mor, Centre international de transmission des savoir-faire traditionnels maritimes