Un nouveau livre sur un pan méconnu de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale
De Nantes à Vienne, Une femme sous l’Occupation aborde l’histoire, longtemps ignorée, des femmes parties travailler en Allemagne, à travers le destin d’une jeune Nantaise.
Yvette Paré est une femme dont on perd la trace à Nantes au printemps 1943 et que l’on retrouve décédée à Vienne le 1er janvier 1944. Que lui est-il arrivé ? Pourquoi est-elle allée travailler si loin de chez elle, au service des Allemands ? Conviction idéologique, nécessité économique, impasse familiale ?
L’intérêt des historiens français pour les réquisitions de main-d’œuvre est un phénomène récent. La plupart des travaux sur la question ont été publiés au tournant des années 2010, à la faveur des éclairages nouveaux apportés sur cette marge grise de comportements ordinaires qui, sous l’Occupation, n’étaient réductibles ni à des faits de collaboration ni à des actes de résistance.
Cette littérature évoque très peu les femmes, voire pas du tout. Yvette Paré est partie au cours de l’année 1943 ; elle n’avait alors que 21 ans, était mariée et mère de deux enfants. Autant dire qu’elle n’était passible d’aucune obligation à partir servir le Reich. Elle ne pouvait être que « volontaire ». Longtemps, les femmes françaises parties travailler outre-Rhin sont passées pour des collabos ou des filles de mauvaise vie vendant leurs charmes au plus offrant. À la Libération et dans les années qui suivirent, cette représentation dégradante les condamna sans autre forme de procès.
Faute de pouvoir solliciter des témoins encore vivants sur ce qui s’était passé il y a 80 ans et plus, la méthode était toute trouvée : lectures et archives. Les études historiques fournissent un cadre de compréhension indispensable sur l’économie du travail forcé mise en place à l’échelle européenne par les conquérants allemands, mais également sur la contribution spécifique des autorités de Vichy, en même temps qu’une description poussée des conditions de vie et de travail imposées aux travailleurs requis. De nombreux articles complètent le tableau en lui donnant à l’occasion une coloration locale, en particulier sur la vie à Nantes sous l’Occupation, permettant de mieux appréhender les bribes, souvent très concrètes, qui se sont dévoilées peu à peu sur la vie d’Yvette Paré.
Le 10 mai 2022, un séminaire organisé à la Maison des sciences de l’homme de Nantes a engagé un premier échange avec des historiens, et tout particulièrement Camille Fauroux, autrice de la première thèse française sur les travailleuses civiles en Allemagne.
Toutefois, le plus gros du travail consista à explorer les documents conservés dans les archives.
Une telle femme lègue rarement à ses enfants un journal intime. Deux-trois photos d’elle, reflets mutiques de certains rôles qu’elle a endossés, un état-civil consigné à la mairie, pas toujours mis à jour, sont les rares traces de sa vie que recèlent les archives familiales. Et pour peu que la dissension s’en soit mêlée, à la suite d’un conflit, d’une séparation ou d’une faute jugée impardonnable, sa mémoire s’efface, la famille la recouvre d’un silence que plus rien ne viendra troubler pendant des années, voire des décennies.
Si donc les milieux populaires ne possèdent pas beaucoup d’archives par eux-mêmes, les Archives en revanche – à savoir les institutions publiques qui s’appliquent à les conserver – en possèdent sur eux, et souvent plus qu’on ne le pense.
Requis du Service du Travail Obligatoire ou volontaires pour aller travailler en Allemagne, tous, toutes ont un dossier nominatif conservé aux Archives des victimes des conflits contemporains de Caen. Yvette y avait le sien, récupéré en 2021. Il documente essentiellement sa fin de vie. Sitôt après son départ pour Vienne, ses enfants, qu’elle avait laissés à Nantes, se sont trouvés ballottés entre la famille et l’Assistance publique, ce qui a déclenché des procédures et généré des dossiers, découverts aux Archives départementales de Loire-Atlantique, avec leur lot d’injonctions, de témoignages contradictoires et de décisions officielles. Une action en justice se développa même sur plusieurs mois, dont l’enjeu était la garde de sa fille cadette.
Mais sur Yvette, presque rien, pas un mot d’elle : elle était la mère absente, la mère indigne. Pour espérer l’apercevoir, il a fallu se plonger dans les archives du STO et de la Relève, le dispositif de « volontariat » qui l’avait précédé. Tâche fastidieuse qui, si elle n’a pas apporté de réponse explicite sur les conditions du départ d’Yvette, a livré néanmoins quantité d’informations et d’éclaircissements sur cette vaste migration de travailleurs et de travailleuses à partir de Nantes. Et puis soudain, au hasard d’une énième liste sur papier pelure, le nom d’Yvette apparut enfin, justifiant les heures passées à éplucher ces dossiers.
La focale s’est bientôt élargie à d’autres aspects de la question : l’habitat populaire avant-guerre, le monde des cheminots, les festivités, le ravitaillement, les bombardements, etc. Les faits divers et les « réclames » publiées dans la presse locale ont livré de nombreux détails révélateurs sur la vie concrète des Nantais.
Selon les besoins, d’autres archives ont été sollicitées : celles de la ville de Nantes, du diocèse et de certains institutions religieuses très actives sous l’Occupation, d’autres départements (Ille-et-Vilaine, Maine-et-Loire), des sites de recherche généalogiques, ainsi que des bases de données spécialisées en Allemagne, et pour finir plusieurs archives régionales en Autriche, notamment lors d’un voyage à Vienne au printemps dernier, en compagnie de la fille d’Yvette Paré, qui a pu ainsi parcourir les lieux où sa mère était passée peu avant sa mort.
Couverture du livre « De Nantes à Vienne, Une femme sous l'Occupation » de Sylvain Maresca
Date du document : 31/10/2024
Le livre expose cette masse de notes de lecture et de documents accumulée pendant près de deux ans, tout en restituant dans le même mouvement le déroulement de l’enquête. L’histoire d’Yvette Paré y est racontée pas à pas, autant que le permet l’état des informations recueillies. Mais puisque son destin est inséparable des circonstances hors norme de la guerre, le livre s’efforce de l’éclairer grâce à de nombreux développements thématiques, dans un va-et-vient tendu entre le particulier et le général, pour brosser le tableau vivant d’une femme dans son époque.
Sylvain Maresca, De Nantes à Vienne, Une femme sous l’Occupation, Éditions La Geste, La Crêche (Deux-Sèvres), parution le 31 octobre 2024
Sylvain Maresca
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