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Passage Pommeraye Jean Graton (1923-2021)

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Monument des 50 otages


Sur le cour des Cinquante-Otages, un monument se dresse en hommage aux 48 hommes exécutés en 1941 par les Allemands, en représailles de l’exécution du lieutenant-colonel Karl Hotz.

Un monument pour une Histoire nantaise

Avec les bombardements de septembre 1943, l’exécution des 50 otages d’octobre 1941 restera pour les Nantais l’un des deux grands traumatismes de la Seconde Guerre mondiale. Mais contrairement aux victimes des bombes américaines, l’affaire des otages entre quasiment immédiatement dans le champ mémoriel de la Ville. Dès le 11 novembre 1941, De Gaulle signe à Londres le décret qui décerne à la Ville de Nantes la Croix de la Libération1. Deux mois après la libération de la ville, le 12 août 1944, le conseil municipal délibère pour la « dénomination d’une voie publique et l’érection d’un Monument en hommage à la mémoire des 50 otages fusillés par les Allemands, le 22 octobre 1941 ». Le nom de Cours de 50 otages est donné au nouveau boulevard qui occupe l’Erdre comblée entre l’ancien pont Morand et les premières maisons de l’île Feydeau.

En optant pour cette appellation « 50 Otages », les élus n’entendent pourtant pas oublier les autres fusillés. Pour Clovis Constant, maire, « cet événement a frappé si profondément les esprits que l’habitude s’est établie de parler surtout des Cinquante Otages. C’est d’ailleurs une expression qui dépasse le cadre local, et je ne pense pas qu’elle puisse choquer personne. »

Un concours d’idées

Devant l’état matériel de la cité, sinistrée par les nombreux bombardements de 1943 et 1944, Clovis Constant estime qu’il faut attendre le retour de circonstances « plus normales » pour permettre la réalisation d’une œuvre digne de la mémoire des fusillés. Néanmoins, dans sa séance du 20 octobre 1944, le conseil municipal définit les principes encadrant la construction du futur monument.
Son emplacement est prévu « tout naturellement dans le square bordant le carrefour du pont Morand, à l’origine du Cours des Cinquante Otages, et non loin du monument aux Morts de la guerre 1914-1918. Les noms des victimes y seraient gravés. »

Le 28 novembre 1944, un concours d’idées est mis en place sous la présidence de M. Roux-Spitz, architecte des Monuments et Palais nationaux, chargé de la reconstruction de Nantes dans le cadre du Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme. Le jury est composé du maire de la ville et de plusieurs élus, MM. Lepage, Philippot, Bâtard, Gosselin et Bourvéau, M. Soil, secrétaire général de la Ville, M. Vié, président de la société des Architectes, M. Polo, représentant la Chambre de Commerce, M. Stany-Gauthier, président de la commission des Sites et Monuments naturels, M. Simon, directeur de l’école des Beaux Arts, M. Esneau, conservateur des Propriétés communales et M. Bourcy, directeur général des travaux de la Ville.

Le Projet P.P.43

Ouvert à tous les artistes français, le concours reçoit un accueil très favorable. 28 projets, présentés par 26 artistes sont réceptionnés par la mairie. Le niveau des primes attribuées aux trois lauréats explique certainement ce succès puisqu’ils reçoivent respectivement 25 000, 20 000 et 10 000 francs. Une enveloppe supplémentaire de 20 000 francs est prévue pour récompenser les projets non retenus mais jugés « intéressants ».

Le 15 mars 1945, à l’unanimité des membres du jury, le choix se porte sur le projet intitulé P.P.43 réalisé par M. Marcel Fradin. Le palmarès donne ensuite le projet Stalag V C de M. Gourin puis Français, souviens-toi de M. Blouin. Cinq autres dossiers sont dotés d’une primes de 4 000 francs. Pour que les Nantais apprécient le choix du jury, une exposition des maquettes ou dessins est assurée pendant quinze jours au Musée des Beaux Arts.

Quant au nom P.P. 43, il rappelle l’histoire personnelle de l’auteur. Soupçonné de connaître une cache d’armes durant la guerre, il est arrêté par les Allemands et enfermé à Angers, dans la prison du Pré-Pigeon en 1943 : P.P. 43.

La France combattante, la France renaissante

Professeur à l’école technique de garçons boulevard de Launay à Nantes, Marcel Fradin s’inspire des obélisques égyptiennes pour en donner une version moderne. Sur les premières esquisses, le monument est formé de 6 lances en béton habillées de cuivre rouge atteignant 13,5 mètres de hauteur. Après avoir rencontré le sculpteur Jean Mazuet, qui avait lui-même participé au concours d’idées, Marcel Fradin admet que son œuvre est un peu dépouillée. Ils conviennent ensemble d’y adjoindre deux statues réalisées dans le même matériaux. À droite de l’obélisque, la France Combattante sortant une épée de son fourreau et foulant du pied une chaîne ; à gauche, la France Renaissante, protégeant de la main un épi de blé, symbole de la Paix et du renouveau. Pour respecter les proportions du monument et l’effet visuel dans l’espace public, les statues mesurent 3,10 mètres de haut. Deux étudiantes de l’école de Beaux Arts serviront de modèle à Jean Mazuet. Au pied du monument, un emmarchement est destiné à recevoir la gravure des 48 noms des fusillés ainsi que les deux décorations de la Ville : la Croix de l’Ordre de la Libération et la Croix de Guerre.

Une implantation remise en cause

Alors que le projet semble finalisé, les élus de la Ville décident en décembre 1946 de transférer le monument vers le carrefour entre le cour des Cinquante Otages et le cour Franklin-Roosevelt. Marcel Fradin doit revoir sa copie et fournir les nouveaux documents du chantier : esquisses, avant-projets, projets d’exécution, devis descriptif et estimatif. Le dossier reçoit l’approbation du dossier par le Ministre de l’Intérieur qui rappelle néanmoins la nécessité d’obtenir l’autorisation de la Commission Centrale des Monuments Commémoratifs. Celle-ci n’émet aucune objection sur le projet mais formule des réserves sur le lieu d’implantation. Cet avis est renforcé par les élus du Département, sollicité pour participer financièrement à la construction du monument, et par les familles des otages. Tous admettent que le monument, placé au centre d’un carrefour « n’appelle pas au recueillement et au culte du souvenir. »

En décembre 1950, il est donc décidé de ramener le monument à son emplacement primitif soit au niveau de la cale basse du pont Morand ! Une nouvelle fois, M. Fradin doit modifier ses plans. Pour que le monument ne soit pas en soubassement par rapport au cour, on décide le remblaiement de l’ancienne cale à hauteur de la chaussée.

Un décret du 5 mars 1951, notifié par le Préfet le 7 mai, approuve le projet d’érection du monument.

Une construction contestée

Pour l’érection du monument, trois lots ont été constitués. La fabrication de l’obélisque revient à l’usine Coyac de Nantes ; la réalisation des deux sculptures est assurée par les entreprises Rudier, fonderies d’art à Malakoff (Seine) enfin la construction de la base en granit revient à l’entreprise Victor et Louis Philippe. Le choix de cette dernière provoque la réaction immédiate du conseiller municipal Bâtard, membre du Part communiste. Selon lui, « c’est une insulte à la Résistance que d’avoir confié ces travaux à un entrepreneur qui, du temps où tombaient les martyrs, était de l’autre côté de la barricade. » De son côté, Marcel Fradin émet les mêmes soupçons et rencontre le maire Henri Orrion pour obtenir des explications. Souhaitant une inauguration pour le mois d’octobre 1952, seule l’entreprise Philippe s’était engagée auprès de la municipalité à respecter les délais.

Devant une situation aussi délicate, un marché est passé avec deux nouvelles entreprises. Le matériau sera fourni par la société Le Granit de l’ouest tandis que la taille et la gravure seront réalisées par l’entreprise Dufossé de Nantes.

22 octobre 1952, une inauguration sous tension

Si la presse locale laisse transparaître une inauguration consensuelle, il n’en a pas été de même pour sa préparation. Le programme de la journée ne pose pas de problème. Elle est  rythmée par cinq rendez-vous : une messe à la cathédrale ; l’inauguration du monument ; une manifestation au champ de tir du Bêle et la visite des cimetières de la Chauvinière et de la Miséricorde. La discussion porte en réalité sur la prise de parole des personnalités lors de la manifestation. Quatre intervenants sont prévus : H. Orrion, maire ; M. Glou, président de l’association des familles d’otages fusillés ; M. Abel-Durand, pour le Département et M. Claudius-Petit, ministre de la Reconstruction et de l’Urnbanisme, représentant Vincent Auriol, Président de la République.

La fronde est menée une nouvelle fois par le conseiller municipal Bâtard qui souhaite pouvoir intervenir durant la cérémonie au nom de son parti. Il rappelle que 34 des fusillés étaient communistes. Pour Henri Orrion, « un hommage aux morts est une chose solennelle, une chose grave. Ce n’est pas l’affaire d’un parti […]. L’inauguration se place maintenant sur le plan national, puisque Monsieur le Président de la République s’y fait représenter. »

Devant cette fin de non-recevoir, le parti communiste décide de na pas assister à l’inauguration.

Le monument aujourd’hui

Deux plaques ont été installées près du monument. L’une rappelle les circonstances du drame des 50 otages, l’autre, inaugurée en juillet 1993, rend hommage aux victimes.

En juillet 2000, le nom de Marcel Fradin est gravé à la base du monument. Étonné que son œuvre soit régulièrement attribuée à Jean Mazuet, M. Fradin a sollicité la mairie pour que son nom y figure et en rappelle le créateur.

Depuis le 10 mai 2017, le monument est inscrit aux Monuments Historiques « Patrimoine du 20e  siècle ». La protection concerne le monument, sis une l’esplanade des Communes Compagnons de la Libération, y compris ses murs de soutènement et emmarchements.

1 Nantes est la première ville de France à devenir Compagnon de la Libération avec la citation : « Ville héroïque qui, depuis le crime de la capitulation, a opposé une résistance acharnée à toute forme de collaboration avec l’ennemi. Occupée par les troupes allemandes et soumise aux plus dures mesures d’oppression, a donné aux Français, par de nombreuses actions individuelles et collectives, un magnifique exemple de courage et de fidélité. Par le sang versé de ses enfants martyrs, vient d’attester devant le monde entier la volonté française de libération nationale ».

Xavier Trochu
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes/Nantes Métropole
2021

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