Maurice Digo : raconter et dessiner la Première Guerre mondiale
De nombreux carnets de croquis et de témoignages de poilus nous sont aujourd’hui parvenus. Les Archives de Nantes conservent par exemple les carnets, dessins et photographies de Maurice Digo. Combattant nantais, il a 22 ans lorsque le conflit éclate en 1914. Maurice Digo va mettre à profit sa formation d’architecte pour illustrer ses carnets, qui nous offrent un précieux récit de la vie d’un poilu nantais.
Le récit d’un jeune soldat nantais
En 1928 et 1929, dix ans après la fin de la Première Guerre mondiale, Maurice Digo retrouve ses carnets, soigneusement conservés par son épouse, et entreprend la réalisation d’une copie conforme dactylographiée. L’original détruit, les sources d’archives permettent cependant de vérifier l’exactitude des faits rapportés par Maurice Digo.
Architecte de formation, il n’a que 22 ans lorsque la guerre éclate à l’été 1914. À travers les 258 pages de son récit richement illustré par des dessins et croquis, Maurice Digo livre un témoignage poignant et raconte les horreurs vécues sur les champs de bataille de l’Est de la France. Pourtant, comme beaucoup d’autres, il part confiant en 1914. Prenant part en première ligne aux combats en Champagne, à Verdun, sur la Somme, au Chemin des Dames ou encore à Saint-Mihiel, il survit à la guerre, qu’il qualifie désormais de « cauchemar ».
Portrait de Maurice Digo en uniforme
Date du document : Juillet 1917
À travers les notes de Maurice Digo, on découvre un soldat détruit, broyé par la guerre et ses horreurs. Ses carnets, dont la violence des mots illustrent son rejet de la guerre, ont dû être cachés afin d’échapper aux indiscrétion militaires et pour éviter de subir de lourdes sanctions.
D’une guerre acceptée à une guerre rejetée
Le récit de Maurice Digo permet de rendre compte de l’évolution du moral de ce soldat nantais. Il commence à rédiger ses carnets le 1er août 1914, le lendemain de son mariage avec Delphine Barbier. Le récit se termine cinq ans plus tard, le 2 août 1919, par sa présentation au quartier du 65e régiment pour acter sa démobilisation. Ce jour-là, on lui rend son casque, qu’il doit conserver chez lui en cas d’appel et sous peine de sanctions. Sur le chemin du retour à son domicile, il jette ce « dernier cadeau de l’Armée » au fond de l’Erdre depuis le pont de la Motte-Rouge.
À l’été 1914, emporté par la vague patriotique, Maurice Digo clame sa volonté de partir au combat alors qu’il a été exempté de services militaire en 1913 pour « faiblesse irrémédiable ». Sa peur n’entame pas sa détermination : « Je suis inquiet et impatient. Ces hécatombes me bouleversent. Je voudrais partir comme les autres. Je ne puis rester ici. Tout le monde veut partir ». Mobilisé le 27 octobre 1914, il part à son tour vers le front, trois jours plus tard, depuis la gare de Nantes-Orléans.
Maurice Digo, au centre, et ses camarades de tranchées
Date du document : 1917
Au fil des années, le langage utilisé se charge de violence, comme s’il fallait évacuer le trop plein d’horreurs, se libérer de ce que l’arrière ne peut entendre. Les soldats, soumis à la censure, tentent de rassurer leurs proches et cachent souvent l’atrocité des combats dans leurs lettres. L’arrière se construit donc une image héroïque des combattants, très éloignée de la réalité des tranchées.
Jusqu’à l’été 1915, Maurice Digo semble accepter la guerre. Ce n’est qu’à partir de 1916 que le découragement apparaît dans ses écrits. Les batailles de Verdun et de la Somme marquent un tournant et l’élan patriotique des débuts vole en éclat. Ce n’est plus la guerre, mais « l’abattoir », une grande « boucherie ». Les pertes sont déjà considérables, mais le conflit qui s’éternise et l’hécatombe des batailles des années 1916 et 1917 nourrissent la haine de la guerre de Maurice Digo. En 1917 et 1918, la guerre, interminable, a eu raison du moral du jeune poilu nantais. On trouve alors un soldat diminué, physiquement et moralement, qui rejette avec violence le conflit. Sur les bords de la Moselle, près de Pont-à-Mousson, il écrit le 8 juillet 1917 : « La splendeur du paysage accuse violemment notre misère, le tragique et l’odieux de notre vie ». Anéanti, le quotidien tragique de la guerre semble être devenu le seul horizon, la seule et sombre perspective.
Paysage de la Somme en 1916
Date du document : 1916
Son dégoût de la guerre se manifeste sans retenue au cours des deux dernières années du conflit. Le 18 février 1917, au moment du départ suite à une permission il exprime son rejet de l’arrière, déconnecté de la réalité du quotidien tragique des poilus : « Seuls l’épouse et le Père nous ont aidés et compris. Nous emportons une haine farouche pour cet ARRIÈRE notre seul ennemi. » Les blessures, les gaz et l’arrivée de la grippe espagnole, qu’il contracte en octobre 1918, expliquent aussi ce désespoir qui grandit dans les propos de Maurice Digo.
L’année 1918, l’année de trop
Le 14 mars 1918, Maurice Digo est gravement intoxiqué par les gaz de combat. Fiévreux et délirant, il exprime avec une grande violence : « Je rêve d’une formidable explosion qui détruirait le Monde d’un seul coup ou bien d’une sorte de paralysie des armes qui permettrait une fraternisation générale et nous ramènerait chacun chez soi ».
Le décès de son frère, le 12 août 1918, porte un nouveau coup au moral du soldat nantais : « Je pense à mon frère André, mon meilleur ami que je ne reverrai plus. Une douleur cruelle et sans espoir est tout ce qui me reste d’une si précieuse amitié PERDUE PERDUE PERDUE... ».
Les trois frères Digo en permission, février 1918
Date du document : Février 1918
Comme écrasé par les souffrances accumulées, le 11 novembre 1918 n’est pas cette explosion de joie libératrice pour Maurice Digo, grandement affaiblie par le virus de la grippe. Il note : « Cloches, canons, sirènes. Une frénésie de cris et de rires secoue la ville que parcourent des bandes joyeuses. Comme un jour de carnaval. Des millions de cadavres pourrissent sur des milliers d’hectares ravagés. Qu’importe ! Et qu’ils comptent peu déjà. Quelques pères, quelques mères, quelques Épouses tempéreront d’une larme cette explosion qu’on voudrait COLÈRE, qui n’est que DÉTENTE. Toutes pudeurs et ce qui reste des soi-disant barrières morales sont balayées dans cette formidable soûlerie de la Victoire.
Je pense à ceux que nous avons laissés, un à un sur les champs de bataille, aux camarades connus et inconnus qui moururent l’imprécation à la bouche, maudissant la Guerre, qui ont payé de leur vie et paierons encore après leur mort (car quel riche fumier à exploiter maintenant) la répugnante satisfaction que leurs tortionnaires vont goûter à leur survivre. Écroulé dans un coin sombre. Écœuré, révolté, désespéré, je laisse échapper d’un coup toutes les larmes si âprement contenues pendant ces quatre mortelles années ».
Les témoignages des combattants de la grande guerre foisonnent. Les lettres et les carnets racontent l’horreur des champs de bataille. Cependant, tous les poilus n’expriment pas ce dégoût, cette haine du conflit.
Dessiner la guerre
Avant de se porter volontaire pour partir sur le front, Maurice Digo réalise de brillantes études à l’École régionale des Beaux-Arts de Nantes. Il devient ensuite commis architecte au service d’Étienne Coutant, l’architecte de la ville de Nantes.
Dessin de la cathédrale de Nantes
Date du document : Avril 1910
Incorporé au 146e Régiment d’Infanterie lors de sa mobilisation, il est promu caporal fourrier puis sergent fourrier, chargé de l’intendance. Il reçoit ensuite le commandement d’une demie-section (25 hommes) puis est désigné comme 3e sous-officier observateur de bataillon en novembre 1916, grade où ses talents de dessinateur se révèlent utiles. En effet, en tant qu’observateur de bataillon, Maurice Digo réalise les relevés des positions des troupes. Ces cartes permettent à l’état-major d’organiser les offensives. Il a par ailleurs ramené clandestinement plusieurs de ces canevas de tir, qui sont aujourd’hui conservés aux Archives de Nantes, tout comme sa boussole et son journal de guerre.
Dans les carnets qu’il tient pendant le conflit, Maurice Digo illustre ses propos de nombreux dessins. Sur le front comme à l’arrière, il conserve son regard d’architecte et effectue des croquis de bâtiments, le plus souvent des églises ou des maisons, mais il dessine aussi des portraits de ses camarades de tranchées ou encore des petites scènes de la vie des soldats, en ajoutant parfois une touche humoristique.
Croquis de Maurice Digo
Date du document : 1914-1918
Après la guerre
Maurice Digo sort du conflit physiquement diminué. Il est pensionné à 30, 40 voire 50 % selon les commissions de réforme qui l’examinent entre 1919 et 1941, date à laquelle il est dégagé des obligations militaires. Les différents examens mentionnent soit une bronchite chronique consécutive à une intoxication par ypérite, soit un emphysème pulmonaire ou encore, comme le signale la commission du 19 décembre 1939, « bronchite emphysémateuse, état général médiocre, amaigrissement, faciès pâle ».
Dans les années 1920, il réside à Nantes, rue Bellier, puis rue de la Fruitière, et enfin boulevard des Belges. Il part ensuite exercer son métier d’architecte à Versailles. Le 15 février 1939, il réside en effet au château, dans le bâtiment de la régie du Palais du Trianon. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il quitte l’Île-de-France et séjourne en Vendée, à la Barbâtre et à la Roche-sur-Yon. Il décède le 26 décembre 1967 à Nantes.
Elven Pogu
Direction du patrimoine et de l’archéologie, Ville de Nantes/Nantes Métropole
2024
Album "Maurice Digo : raconter et dessiner la Première Guerre mondiale"
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