Place du Bouffay
Situé dans le plus ancien quartier de Nantes, la place du Bouffay accueille du Moyen Âge au 19e siècle diverses institutions judiciaires, financières et politiques ainsi qu’un des plus importants marchés de la ville.
Le cœur de la vie politique, commercial et judiciaire nantaise
En 990, le comte de Rennes Conan I le Tort conquiert de Nantes. Il fait construire une forteresse dans le quartier Bouffay s’appuyant sur la portion sud-ouest de l’enceinte antique. L’édifice sert de résidence aux comtes de Nantes puis au duc de Bretagne avant d’être délaissée au profit du château de la Tour-Neuve, élevé sur l’emplacement du Château des ducs. La place du Bouffay actuelle aurait alors formée la basse-cour de la forteresse.
Durant le Moyen Âge, la place se caractérise par une intense activité commerciale grâce à son marché, le plus important de la ville. En 1628, une cohue y est aménagée contre les remparts. Détruit par l’incendie du Bouffay en 1718, ce marché couvert laisse place à une halle aux poissons dans les années 1720. Les plans de cet équipement sont dessinés par l’ingénieur Jacques Goubert.
La place du Bouffay est également au centre de la vie publique et politique nantaise qui se manifeste par la présence de la maison des Échevins, au nord-est de la place. C’est dans cet édifice que se réunit de 1437 à 1491 le conseil des bourgeois de la ville, chargé de la gestion des affaires municipales. Symbole d’affirmation du pouvoir municipal, un beffroi coiffe la tour de la forteresse de Conan le Tort, surélevée au 17e siècle. Son horloge publique et ses cloches rythment la vie des Nantais.
Dans la seconde moitié du 15e siècle, la place du Bouffay devient le centre du pouvoir judiciaire nantais. La forteresse du 10e siècle abrite à partir de 1467 un palais de justice et une prison tandis que la place s’affirme comme lieu d’exécutions des peines capitales.
Le pilori est installé sur la place en 1552, année de la création du présidial de Nantes. Une potence, un gibet et une cage de fer s’y dressent de 1642 à 1764. Durant la Révolution française, la guillotine trône sur la place.
Le siège de la monnaie de Nantes
Outre cette activité commerciale, politique et judiciaire, la place du Bouffay est également un centre financier. Derrière l’immeuble situé au 13 allée du Port-Maillard est percée une rue étroite, la rue de l’Ancienne-Monnaie. Son nom témoigne de l’existence au Moyen Âge et jusqu’aux années 1820 d’un atelier monétaire dans le quartier où était frappée la monnaie. Au milieu du 13e siècle, les bâtiments de l’atelier monétaire situés entre la place du Bouffay et le château de la Tour-Neuve sont cédés au couvent des Jacobins. L’activité monétaire est alors transférée dans une tour, puis vers 1480 dans un bâtiment s’appuyant sur l’enceinte médiévale, au sud-est de la place Bouffay.
En 1721, Jacques Goubert dessine une extension de l’hôtel de la monnaie comprenant également une halle aux poissons et un nouveau corps de garde. À proximité de la tour dite de le Monnaie se développent ses ateliers, magasins, écuries et fonderie.
Une place redessinée au 18e siècle
Au 18e siècle, Nantes fait l’objet d’importantes transformations urbaines. Elles suivent l’idéal d’une ville aux rues droites et alignées parée de façades symétriques et sans saillies. Les sinueuses rues médiévales sont progressivement redressées tandis que les maisons à pans de bois et encorbellements laissent place à des immeubles en pierre aux façades d’aplomb.
Dès les années 1720, des motivations à la fois économiques et esthétiques entraînent une réflexion sur la création d’un quai continu entre le Château des ducs et le quai de la Fosse. La destruction de l’enceinte médiévale permettrait de mettre à la disposition des négociants des terrains nécessaires au développement de leur commerce. Ils pourraient ainsi y élever un front urbain dont l’architecture ferait écho à ceux devant être érigés dans le lotissement de l’île Feydeau, en cours d’aménagement de l’autre côté du bras de la Loire. Bien qu’obsolètes d’un point de vue militaire, les fortifications sont conservées.
Au milieu du 18e siècle, la place du Bouffay, bordée d’immeubles et maisons d’époques différentes, présente une forme irrégulière. Elle communique avec le reste de la ville via plusieurs rues :
• La rue Bâclerie, au nord-est, rejoint la rue de la Juiverie,
• La rue de la Poulaillerie, au nord-ouest, permet de se rendre aux églises Sainte-Croix et Saint-Saturnin par la rue Belle-Image,
• Les rues de la Monnaie et du Petit-Bacchus, à l’est, donnent sur la rue du Port-Maillard,
• La rue de la Tremperie, au sud-ouest, longe la muraille et la forteresse du 10e siècle.
En 1755, un arrêt autorise la démolition de l’enceinte médiévale. La place du Bouffay s’ouvre alors progressivement sur la Loire.
En 1772, l’architecte de la ville Jean-Baptiste Ceineray dévoile un plan de régularisation de la place du Bouffay.
En fond de place s’élève un corps de bâtiment qui détermine le modèle architectural à adopter pour le reste de l’esplanade. Les maisons et équipements publics entourant la place doivent être détruits puis reconstruits afin de former un ensemble architectural cohérent et harmonieux. Le nouvel hôtel de la monnaie et le nouveau complexe judiciaire doivent être prolongés par des habitations en front de Loire dans la continuité des quais Flesselles et du Port-Maillard. Il faut toutefois attendre le 19e siècle et le déménagement de l’hôtel de la monnaie et du palais de justice pour voir la réalisation du projet imaginé par Ceineray.
L’achèvement du programme de Ceineray au 19e siècle
La destruction de l’enceinte médiévale offre de nouvelles opportunités pour étendre la ville. Ainsi, de nouveaux quartiers sont aménagés à partir de la fin du 18e siècle. Près de la nouvelle place Graslin, le conseil général de Loire-Inférieure fait construire un hôtel de la monnaie donnant sur la rue Voltaire. L’atelier monétaire du Bouffay et la halle aux poissons sont détruits en 1822, ouvrant pleinement la place sur le quai et la Loire. Sur leur emprise sont élevés des immeubles d’habitation dessinés par Félix-François Ogée respectant l’ordonnancement imposé par Jean-Baptiste Ceineray en 1772.
En 1848-1849, l’ancienne forteresse du Bouffay est à son tour démolie suite à la construction d’un nouveau palais de justice et d’une prison aux abords de l’actuelle place Aristide-Briand. La place du Bouffay perd alors son beffroi.
À la demande des habitants, marchands et artisans du quartier, l’architecte de la ville Henri-Théodore Driollet réfléchit à la création d’un marché couvert au cœur de l’îlot occupé par l’ancienne forteresse. Cet usage commercial serait couplé à la construction d’immeubles de rapport sous lesquels seraient percés des passages donnant accès au marché. Dans la continuité du projet de Ceineray, les façades respecteraient les principes architecturaux dictés par les immeubles qui bordent la place. Les rez-de-chaussée seraient réservés à des boutiques ouvertes sur le marché intérieur, la place ainsi que le quai Flesselles. Driollet projette également la construction d’une tour surmontée d’un beffroi sur lequel seraient replacés l’horloge publique, le campanile et sa cloche. Cette tour s’élèverait dans l’axe de la rue Belle-Image.
L’architecte de la ville souhaite également installer une fontaine monumentale au centre de la place du Bouffay. La création du marché couvert cerclé d’immeubles destinés à la location entraînerait le redressement de la rue de la Poulaillerie (rue du Bouffay) et de la rue de la Poissonnerie (rue de la Paix). Le 10 octobre 1848, le conseil municipal adopte le projet de marché couvert et d’une tour-beffroi sur l’emplacement de l’ancienne forteresse. Le plan de Driollet n’est toutefois jamais exécuté ; c’est finalement la place de la Petite-Hollande, à l’ouest de l’île Feydeau, qui est choisie pour accueillir le marché couvert.
L’îlot de l’ancienne forteresse est dévolu à la construction d’immeubles d’habitation érigés entre 1849 et 1853. Tout comme pour les autres immeubles de la place, l’architecte de la ville s’implique dans ce projet afin d’imposer le respect du principe de l’ordonnance cher à Ceineray. Joseph-Fleury Chenantais permet toutefois l’ajout de combles mansardées au-dessus des corniches pour des raisons économiques. Des mansardes identiques semblent avoir été aménagées à cette même époque pour la portion ouest de l’immeuble élevé en fond de place, rompant la symétrie de l’ensemble.
Dans les années 1910, la place du Bouffay achève sa transformation pour prendre sa forme actuelle avec la destruction de la maison des Échevins et le percement de la rue du même nom.
Un nouveau marché couvert pour le Bouffay
La délocalisation du marché couvert sur l’île Feydeau n’est pas sans susciter le mécontentement des habitants et commerçants du Bouffay, attachés à l’usage commercial de leur place. Ils doivent patienter jusqu’aux années 1870 pour voir s’implanter de nouvelles halles dans leur quartier, le marché de la Petite-Hollande ne parvenant pas à répondre seul aux besoins. L’architecte de la ville Antoine Demoget dresse alors en 1877 un « projet de petites halles couvertes » pour le Bouffay. Validé par le conseil municipal, les onze pavillons constitués de nefs jumelées en fonte et en verre sont érigées en 1878-1879.
Rénovées une première fois en 1928, les halles du Bouffay le sont de nouveau dans les années 1980. Le verre est alors remplacé par du plexiglass.
Le renouveau du Bouffay dans les années 2010
En septembre 1943, la place du Bouffay est lourdement touchée par les bombardements. Les immeubles situés au n°13 l’allée du Port-Maillard ainsi qu’au n°6 de la place sont en partie détruits et reconstruits après guerre.
Dans le cadre du projet de requalification du quartier Feydeau-Bouffay mené entre 2009 et 2012, la route qui longeait la place disparaît au profit d’une promenade piétonne qui s’étire le long de la ligne de tramway du cours des 50-Otages à la rue de Strasbourg. La place est revêtue de dalles de granit aux tonalités contrastées et les halles de Demoget sont démontées en 2010. Sur l’espace libéré s’installent les terrasses des bars et restaurants bordant la place. En 2018, le Voyage à Nantes installe une nouvelle œuvre permanente au centre de la place, Éloge du pas de côté de Philippe Ramette.
Noémie Boulay
Direction du patrimoine et de l’archéologie, Ville de Nantes/Nantes Métropole
2024
Album : Place du Bouffay
En savoir plus
Bibliographie
Bienvenu Gilles, De l'Architecte voyer à l'ingénieur en chef des services techniques, les services d'architecture et d'urbanisme de la ville de Nantes du XVIIIe siècle au XXe siècle, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 2013
Pages liées
Tags
Contributeurs
Rédaction d'article :
Noémie Boulay
Vous aimerez aussi
Groupe scolaire des Marsauderies
Architecture et urbanismeSituée dans une partie de la ville restée longtemps rurale, l’école des Marsauderies prend le nom d'un des lieux-dits qu’elle occupe. Jusqu’au milieu du 20e siècle, « les Marsauderies »...
Contributeur(s) :Salomé Pavy , Irène Gillardot
Date de publication : 18/01/2023
2254
Lycée Clemenceau
Architecture et urbanismeLongtemps seul lycée de Nantes et du département, l’actuel lycée Clemenceau a joué depuis le début du 19e siècle un rôle non négligeable dans l’histoire de la ville, encore renforcé...
Contributeur(s) :Jean Guiffan
Date de publication : 06/03/2019
7003
Aubert et Thouvenin
Architecture et urbanismeEn 1872, Jules Thouvenin crée sa « fabrique et retaillage de limes ». Son commerce, situé place du Cirque, connaît un important développement. Il s’associe à Monsieur Aubert et fait...
Contributeur(s) :Noémie Boulay
Date de publication : 14/01/2021
1798