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Monnaie royale de Nantes (1491-1792)


Il y a 200 ans tout juste, en juin 1820, la Monnaie de Nantes cesse toute activité en attendant son transfert vers un bâtiment neuf installé dans les nouveaux quartiers de la ville. Ainsi s’achevaient des siècles de frappe monétaire dans le quartier historique du Bouffay où l’atelier était installé depuis le Moyen Âge. Aussitôt l’arrêt des frappes, la Municipalité acquière le bâtiment pour le livrer aux démolisseurs afin de permettre l’extension du quai sur la Loire. Ce bicentenaire est l’occasion de revenir sur quelques siècles de la vie d’un atelier monétaire qui n’a pas été un long fleuve tranquille…

Intégration difficile

En 1491 suite au mariage de Charles VIII (1483-1498) et de la Duchesse Anne, la Monnaie de Nantes passe sous l’autorité royale. À cette date, l’atelier monétaire est installé depuis quelques années dans un bâtiment adossé aux remparts de la ville le long de la Loire. Situé non loin du château, ce bâtiment se dresse sur la place du Bouffay, véritable cœur commercial et administratif de la cité. C’est à cause de l’accroissement de son activité que l’atelier avait été contraint de quitter la vieille tour médiévale dans laquelle il était installé depuis le milieu du 14e siècle. En cette fin du 15e siècle on estime en effet que quatre-vingt familles vivent de l’activité monétaire : les pères sont monnayeurs, ajusteurs ou simples ouvriers, les épouses et les filles sont tailleresses, quant aux fils ils sont ouvriers ou apprentis.

Écu d’or au soleil de Bretagne de François Ier

Écu d’or au soleil de Bretagne de François Ier

Date du document : vers 1535

Bien sûr, les monnaies nantaises sont désormais largement marquées par les types monétaires royaux. Pour autant, le passage sous l’autorité du Roi ne remet pas en cause le particularisme des monnaies bretonnes en général, et nantaises en particulier. Sous Louis XII (1498-1515) par exemple les pièces conservent un fort accent breton avec de nombreuses mouchetures d’hermine figurées un peu partout dans le champ et les légendes. Ceci n’est pas dû au possible chauvinisme des monnayeurs nantais, mais bien au respect du contrat de mariage de Louis XII et Anne de Bretagne.

C’est en janvier 1540 que François Ier (1515-1547) impose à tout le royaume l’uniformisation des types monétaires. Les mouchetures d’hermine se font alors beaucoup plus discrètes et ne demeurent souvent que de simples éléments de ponctuation.

Douzain aux croissants d’Henri II

Douzain aux croissants d’Henri II

Date du document : 1551

Cette même réforme supprime le vieux système des points secrets. Désormais, on identifie le lieu de frappe par une lettre : A pour Paris, B pour Rouen… Depuis l’époque ducale l’atelier de Nantes signait ses productions de son initiale N. Or en 1540, cette lettre est attribuée à Montpellier tandis que Nantes ne reçoit aucune nouvelle marque distinctive ! L’atelier nantais signe alors tantôt d’une moucheture d’hermine en lieu et place de la lettre d’atelier, tantôt d’un N, ce qui peut générer quelques confusions…

La décennie 1540 est marquée par une très faible activité à la Monnaie de Nantes où très peu de pièces sont frappées. Son Maître (directeur), Jean Taupier, s’en plaint car il ne tire pas de sa charge les bénéfices escomptés… Ses héritiers diront même qu’il s’y est ruiné ! Faute de ressources suffisantes, Jean Taupier limite les dépenses. Par exemple, il réutilise les anciennes matrices, même si elles sont très usées et qu’elles portent la marque de son prédécesseur. Déjà en piteux état, la Monnaie de Nantes est mise au chômage par le Roi en 1547. Elle ne frappe plus aucune pièce.

En avril 1550, après trois années d’inactivité, le rétablissement de la Monnaie de Nantes est enfin ordonné ! Cependant, cette reprise n’est que théorique car la Monnaie de Nantes ne dispose pas de l’outillage nécessaire à la gravure des matrices indispensables à la frappe des nouveaux types monétaires. On les commande alors au graveur de l’atelier d’Angers. Trois mois plus tard, durant lesquels Jean Taupier meurt subitement, le graveur angevin vient en personne à Nantes remettre les précieuses matrices. La production peut enfin reprendre… Timidement… Car l’essentiel du matériel, envoyé par la Monnaie de Paris, n’arrive qu’en septembre.

À cette date Nantes signe toujours ses monnaies d’un N, comme Montpellier ! Une solution est enfin trouvée l’année suivante : la lettre T, anciennement affectée à Turin, est attribuée à la Monnaie de Nantes. Grâce à la « matrice à faire grans blancs douzains, garnie de ses poinçons, lettres et caractères » reçue de Paris, à la nomination d’un nouveau Maître et à l’affectation d’une lettre d’atelier, la Monnaie de Nantes peut enfin reprendre une activité soutenue. C’est ainsi qu’en 1551, elle frappe 5 500 testons, et surtout 2 952 000 douzains aux croissants, soit huit tonnes de billon ! Nantes se hisse alors au 4e rang des ateliers monétaires du royaume. Mais cette embellie n’est que passagère… Dès 1552, la frappe des testons est divisée par deux, et celle des douzains par dix. La production monétaire nantaise continue de baisser durant le reste de la décennie.

Teston au nom d’Henri II

Teston au nom d’Henri II

Date du document : 1561

L’année 1561 marque un sursaut avec la frappe de plus de 290 000 testons, presque trois tonnes d’argent ! Ce regain est une fois encore temporaire car l’atelier de Nantes semble peu à peu tomber dans une véritable léthargie durant le règne de Charles IX (1560-1574). Ceci est dû à un contexte local défavorable, non pas au plan économique ou commercial, mais technique et humain. En effet, à cette période la Monnaie de Nantes est dépourvue de graveur. Elle doit se procurer ses matrices à Paris, Angers, Rennes ou ailleurs. En 1566, le Général des Monnaies du Royaume enjoint le Maire et les échevins à « nommer un tailleur de la Monnaie », ce poste étant vacant depuis longtemps. Ceux-ci répondent « qu’ils ne connaissent personne qui soit suffisamment expert audit art » et la Monnaie de Nantes reste dépourvue de graveur… S’y ajoute bientôt la vacance de la charge de Maître sans titulaire de 1569 à 1573 ! Une nouvelle fois, les frappes sont interrompues.

Teston d’Henri III

Teston d’Henri III

Date du document : 1575

Splendeurs et misères

L’année 1575 marque enfin le début d’une ère de stabilité et de forte production pour la Monnaie de Nantes. Nommé en 1573, Florimont Fleuriot assure la maîtrise de l’atelier durant vingt-cinq ans, puis la charge passe d’un titulaire à l’autre sans interruption. Côme Ménard, nommé graveur par le Maire en 1570 est enfin reconnu par la Cour des Monnaies en 1575. Il assure la fonction de graveur jusqu’à sa mort en 1604, puis son fils Florent hérite de son savoir-faire et de sa charge. Le métal enfin, de l’argent venu de l’Amérique espagnole, afflue en abondance jusqu’à la fin des années 1610. Occupée presque exclusivement à la transformation de cet argent américain en pièces sonnantes et trébuchantes françaises, la Monnaie de Nantes ne frappe alors pratiquement que des quarts et des huitièmes d’écus. Elle se hisse rapidement au 3e rang des ateliers du royaume par le volume de métal transformé sur la décennie 1581-1590, puis elle occupe la 1ère place de 1591 à 1610.

Quart d’écu de Charles X de la Ligue

Quart d’écu de Charles X de la Ligue

Date du document : 1594

Après cette période faste, la frappe monétaire nantaise s’amenuise au début du règne de Louis XIII (1610-1643) et s’arrête peu après 1625. Au début des années 1640, l’activité reprend avec l’émission de quelques quarts d’écus. Sous le jeune Louis XIV (1643-1715) la production s’étoffe avec la frappe de louis d’or et d’écus d’argent, d’abord à la mèche longue, puis au buste juvénile. Malgré un niveau de production honorable, la Monnaie de Nantes n’est plus alors qu’un atelier secondaire ce qui amène les autorités royales à décider de sa fermeture en 1662 par souci de réduction des coûts de fonctionnement.

Demi-écu au buste juvénile de Louis XIV

Demi-écu au buste juvénile de Louis XIV

Date du document : 1662

Après une trentaine d’années de chômage, Louis XIV ordonne la réouverture de la Monnaie de Nantes le 7 juillet 1693  ! Le royaume est alors empêtré dans la Guerre de la Ligue d’Augsbourg. Pour soutenir l’armée, il faut de l’argent, beaucoup d’argent. Pour cela le monarque ordonne la seconde réformation : on convertit toutes les anciennes pièces en nouvelles monnaies dont la valeur artificiellement renforcée vient enrichir la Couronne. Tous les ateliers sont mis à contribution.

Après tant d’années, un état des lieux s’imposait. Celui-ci commence le 1er septembre sous la conduite du procureur du Roi accompagné d’un architecte, d’un charpentier et d’un serrurier. Leur visite dure trois jours.

Leur rapport est édifiant : les maçonneries sont à reprendre dans le bureau de change, des jambages, des portes, des linçoirs sont rompus. Les cheminées doivent être rehaussées hors toiture, le foyer des fourneaux est à refaire. Plusieurs poutres porteuses sont cassées, six d’entre elles sont étayées pour éviter l’effondrement. Les menuiseries sont à reprendre, les grilles sur rue sont à changer.

Et ce n’est pas mieux pour le matériel : les cinq fourneaux, les soufflets, les creusets et cisoirs sont hors service ainsi que la chaudière de cuivre et la presse de l’or. L’arbre du moulin est « encore utilisable », mais le grand fouet du balancier doit être remplacé.

Des plans sont établis. Pour augmenter la surface de l’atelier, on doit réduire la chambre du juge-garde qui habitait les lieux, on se demande dans quelles conditions !? Celui-ci demande alors une indemnité.

Un cahier des charges est vite rédigé, et sa publication se fait à la messe du dimanche 8 octobre 1693 dans les églises de la ville.

Les travaux commencent peu après. Vu leur ampleur, ceux-ci n’ont pu être réalisés en deux ou trois mois. Aussi, est-on surpris que la fabrication des monnaies ait débuté avant la fin de cette année 1693. Comment des louis et des écus ont-ils été frappés au milieu du chantier de rénovation !? Car ces pièces ont bien été faites, puisqu’on en connaît aujourd’hui quelques spécimens. On peine vraiment à imaginer les maçons, charpentiers, ferronniers et couvreurs circuler parmi les monnayeurs, ajusteurs et tailleresses.

Double Louis d’or aux 4L de Louis XIV

Double Louis d’or aux 4L de Louis XIV

Date du document : 1695

Écu aux branches d’olivier de Louis XV

Écu aux branches d’olivier de Louis XV

Date du document : 1728

Quoiqu’il en soit, la vie reprend à la Monnaie de Nantes, une vie toujours mouvementée… En 1706, le Roi ordonne sa fermeture, puis sa réouverture quelques mois après. Le bâtiment se dégrade à nouveau... Avant 1718, il a déjà subit deux incendies, vite maîtrisés. Les approvisionnements en métal, tout comme les commandes du Roi, sont aléatoires. Celle de 1718, qui prévoit la transformation de 22 tonnes d’argent en pièces, est difficile à honorer. La Monnaie est à l’étroit, il faut l’agrandir, mais comment puisque le bâtiment est coincé entre le rempart et les halles du marché ? Le 17 février 1718, le feu prend dans l’échoppe d’un perruquier installé place du Bouffay. L’incendie se propage, la Monnaie est sauvée de justesse, mais les halles en bois sont perdues… L’extension de la Monnaie devient alors possible ! Dès 1718, on rachète une petite maison adossée au bâtiment de la Monnaie. Puis en 1720, on ordonne la construction d’une extension comprenant une écurie, un moulin, un corps de garde et des annexes. L’Hôtel de la Monnaie de Nantes devient alors l’un des plus vastes du royaume avec 30 mètres de large et 90 de long ! Il peut désormais accueillir jusqu’à 150 ouvriers. Régulièrement alimentée en métaux précieux, notamment de l’argent importé grâce à la traite négrière, la Monnaie de Nantes fonctionne bien sous Louis XV (1715-1774). L’année 1786 marque le chant du cygne de l’atelier qui transforme 12 tonnes d’or en louis et doubles louis.

Double Louis d’or au buste nu de Louis XVI

Double Louis d’or au buste nu de Louis XVI

Date du document : 1786

Avec la suppression de certaines églises au début de la Révolution, la Monnaie de Nantes est, comme la plupart des autres ateliers, occupée à deux tâches principales :
- la fonte de l’orfèvrerie liturgique pour la convertir en pièces de 15 et 30 sols servant à payer les soldats ;
- la fonte des cloches pour les convertir en pièces de 2 sols, 12 deniers et 6 deniers, indispensables aux transactions quotidiennes.

Avers :

Avers d'une pièce de deux sols de Louis XVI

Avers d'une pièce de deux sols de Louis XVI

Date du document : 1792

Revers :

Revers d'une pièce de deux sols de Louis XVI

Revers d'une pièce de deux sols de Louis XVI

Date du document : 1792

Le cas nantais illustre les soubresauts de l’histoire monétaire française durant l’Ancien Régime.

Gildas Salaün
2020

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En savoir plus

Bibliographie

Gildas Salaün, « La Monnaie Royale de Nantes (1491-1792) », Monnaie magazine, juin 2020, n°228, p.52-57

Webographie

Série de podcasts « Histoires de monnaies » par Gildas Salaün sur Radio Châteaubriant Lien s'ouvrant dans une nouvelle fenêtre

Vidéo sur l'atelier de fonte des cloches rue Saint-Léonard durant la Révolution Lien s'ouvrant dans une nouvelle fenêtre

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Rédaction d'article :

Gildas Salaün

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