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Évocation de Nantes dans les romans de Jules Verne Portrait de Félix Fournier, évêque de Nantes (1874)

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Tunnel Saint-Félix


Sur plus de 700 mètres, le tunnel Saint-Félix s’étire du quai Ceineray à son débouché dans le canal Saint-Félix. Construit entre 1930 et 1933, cet ouvrage a profondément bouleversé le paysage urbain nantais en détournant l’Erdre sous les cours Saint-Pierre et Saint-André.

Les premières propositions de détournement de l’Erdre

En 1859 est présenté pour la première fois au conseil municipal de la Ville de Nantes un projet de détournement de l’Erdre. Il a notamment pour objectif d’améliorer la salubrité publique ; fortement polluée, la rivière dégage des odeurs nauséabondes et toxiques. Afin de remédier à ce problème, il est préconisé de combler l’Erdre à partir de l’île de Versailles et de le détourner sous les cours Saint-Pierre et Saint-André via un souterrain. Le comblement partiel des bras nord de la Loire ainsi que la création d’un système d’égout dans la rivière sont aussi envisagés. Le conseil municipal ne donne pas suite à cette proposition.

En 1894, l’ingénieur et adjoint au maire Albert Liébaut relance le projet de détournement de l’Erdre dans son étude menée sur l’assainissement de la Ville de Nantes. Il est également évoqué en 1914 par le Service Maritime des Ponts et Chaussées.

La réactivation du projet

En 1924, le pont de Pirmil s’effondre. Cet événement fait l’effet d’un électrochoc pour les autorités publiques ; les travaux exécutés en Loire en 1903 et 1913 par le service des Ponts et Chaussées ont provoqué des courants très forts et des affouillements qui ont fragilisé les ponts et les quais de Nantes. Ils ont également eu pour conséquence d’abaisser l’étiage du fleuve, c’est-à-dire le niveau moyen le plus bas d’un cours d’eau, entraînant l’assèchement des bras nord de la Loire au moment des basses mers. Cet assèchement engendre à la fois des problèmes de salubrité publique et participe à l’altération des ouvrages du port.

Par crainte de voir s’effondrer la voie de chemin de fer entre Nantes et Saint-Nazaire installée sur la rive nord de la Loire, les ingénieurs des Ponts et Chaussées élabore un projet comportant le comblement des bras nord de la Loire ainsi que le détournement de l’Erdre. Pour des raisons budgétaires, seul le comblement partiel des bras de la Loire est réalisé dans un premier temps.

Le projet de dérivation de l’Erdre est réactivé en 1927 à la faveur d’une situation financière plus favorable. Suite à des pourparlers entre l’État et la Ville, un avant-projet dont le coût s’élève à 25 millions de francs est approuvé par le ministère des Travaux publics en décembre 1927.

La description du souterrain

Le devis rédigé par les services de l’État prévoit la construction d’une écluse au niveau du quai Ceineray qui donne accès au tunnel souterrain. Un pont en béton de 10 mètres de large et sur laquelle doit être aménagée une chaussée est à bâtir pour franchir cette écluse. Un tunnel de 555 mètres est projeté sous les cours Saint-Pierre et Saint-André. La voie navigable mesure 7,70 mètres de large, auxquels sont ajoutés 2,10 mètres aménagés en banquette de halage, celle-ci étant réservée au remorquage des navires à la main et à l’entretien de la voie navigable. Tous les 30 mètres, il est prévu d’aménager un espace dans la voûte pour installer un système d’éclairage. Une gare d’évitement est également imaginée. Le souterrain se prolonge sur 80 mètres sous la place de la Duchesse-Anne où il doit être recouvert d’une voûte.

Un pont permettant le passage de la voie ferrée doit surplomber la portion du tunnel qui traverse le quai de Richebourg. Enfin, l’Erdre finit sa course dans le canal Saint-Félix, à l’est du pont de la Rotonde.

Un projet bénéficiant des réparations de guerre

Dans le cadre du plan Dawes, il est prévu de recourir aux services d’une entreprise allemande. Élaboré en 1923, ce programme organise le versement des réparations dues par l’Allemagne aux pays vainqueurs de la Première Guerre mondiale. De 1924 à 1930, il prévoit des indemnités de plus de 7 milliards de marks-or, dont une partie à réaliser sous la forme de prestations de service ou d’apports de matériel. C’est ainsi que durant cette période, de nombreuses entreprises allemandes coopèrent avec des sociétés françaises sur des chantiers de construction en France. C’est le groupement réunissant les entreprises nantaises François Bernard et Eugène Ducos ainsi que la société allemande Carl Brandt de Düsseldorf qui est sélectionné le 2 mars 1928 pour réaliser le chantier.

Plusieurs mois de négociations sont nécessaires pour mettre d’accord l’État et la Ville de Nantes sur le montage financier à adopter. Au final, la municipalité reste le financeur principal du projet. Elle bénéficie d’une participation du Département de la Loire-Inférieure et de la Chambre de Commerce.

Un chantier pour donner du travail aux ouvriers

Le lancement de ce chantier d’envergure, prévu pour durer plusieurs années, représente une opportunité pour de nombreux ouvriers d’obtenir un travail. Ainsi, il est demandé aux entreprises recrutées que seuls les ouvriers spécialisés et les conducteurs de machines peuvent venir de l’étranger, notamment d’Allemagne. La municipalité nantaise demande également à ce que les entrepreneurs recrutent les ouvriers via l’Office Public de Placement pour les travaux municipaux et de privilégier les habitants de Nantes et des communes limitrophes. Ce chantier est attendu aussi bien par les autorités publiques que les représentants syndicaux. En 1929, la presse rapporte les rencontres organisées régulièrement entre Paul Bellamy et les délégations de la Bourse du Travail ; ces dernières demandent au maire de Nantes de « hâter les décisions et l’ouverture du chantier ». Au total, ce dernier mobilise 200 ouvriers.

Le nouveau programme de février 1930

En septembre 1929, la Ville de Nantes formule des modifications qu’elle souhaite apporter au projet de détournement de l’Erdre. Ce revirement de situation résulte d’une décision du conseil municipal d’accepter de remanier la place de la Duchesse-Anne et la voie ferrée qu’il souhaitait jusque là garder en l’état. Si le tracé du souterrain actuel sous les cours est conservé, plusieurs changements sont à prévoir :
• L’écluse à construire au quai Ceineray est remplacée par une écluse dans le canal Saint-Félix,
• Le pont en béton prévu au quai Ceineray est remplacé par une chaussée passant devant le Monument aux Morts,
• Le souterrain doit être recouvert par un plancher en béton armé dans la traversée de la place de la Duchesse-Anne,
• Un pont est à construire au-dessus du canal dans la traversée du quai de Richebourg,
• Le souterrain doit être prolongé pour déboucher le plus à l’est possible dans le canal Saint-Félix.

En parallèle, d’autres chantiers sont à prévoir comme les travaux d’aménagement et de voirie ou la reconstruction des basses cales du canal Saint-Félix projetée pour l’aménagement du futur boulevard Malakoff, financés par la Ville de Nantes. Malgré le surcoût important, ces propositions sont acceptées par le ministère des Travaux publics. Le projet prend sa forme définitive le 7 février 1930.

Le déroulement du chantier

En octobre 1929, la municipalité organise le retrait du bassin et des statues de baigneuses en bronze de la fontaine de la place de la Duchesse-Anne. En avril 1930 débute le percement du tunnel Saint-Félix de manière simultanée de chaque côté de l’ouvrage. L’entreprise Carl Brandt est chargée des travaux au quai Ceineray et sous les cours. Ils sont supervisés par l’ingénieur Karl Hotz, connu pour avoir été nommé Feldkommandant durant l’occupation de Nantes entre 1940 et 1941. Les Établissements Eugène Ducos mettent en œuvre la percée depuis la place de la Duchesse-Anne et le prolongement du souterrain. L’entreprise François Bernard est pour sa part positionnée sur le chantier se déroulant dans le canal Saint-Félix. Enfin, les Établissements Paris réalisent l’écluse.

Durant les travaux, les entrepreneurs rencontrent un certain nombre de difficultés financières. L’entreprise Carl Brandt subit de plein fouet les conséquences de la Grande Dépression, une crise économique mondiale qui suit le krak boursier d’octobre 1929. Les banques allemandes refusent de prêter de l’argent à la société de génie civil qui doit compter uniquement sur les versements en francs et en reichsmarks de l’État français pour financer son chantier. Or, le prix du marché augmente considérablement en 1932 suite à une découverte fortuite : la nature de la roche révélée lors du creusement du tunnel est bien plus fragile que ce qu’avait montré les sondages réalisés avant la passation du marché. De nouveaux aménagements sont nécessaires pour renforcer la structure du tunnel et éviter des éboulement. L’État n’ayant pas anticipé cet imprévu, les paiements accusent du retard, mettant en péril la poursuite du chantier.

Malgré ces difficultés techniques et financières rencontrées par les entreprises, le chantier se poursuit sans interruption. Le tunnel Saint-Félix est achevé en juin 1933. Le chantier de détournement de l’Erdre s’achève officiellement en mars 1934.

L’inauguration du tunnel Saint-Félix

Le jeudi 5 avril 1934, le tunnel Saint-Félix est inauguré par une traversée des remorqueurs et vedettes des Ponts et Chaussées. L’ouvrage mesure plus de 700 mètres de long, dont 550 sous les cours. La voie navigable est de 7,70 à 7,90 mètres en fonction des sections du souterrain et d’une profondeur de 7,90 mètres. La circulation ne peut se faire que dans un sens à la fois ; une signalisation lumineuse permet de réguler le trafic. La structure du tunnel sous les cours est soutenue par une voûte en béton armé semi-circulaire. La portion située sous la place de la Duchesse-Anne est quant à elle recouverte d’un plancher en béton armé. Enfin, le prolongement menant au canal Saint-Félix est constitué de caissons en béton armé.

Le discours prononcé lors de l’événement par Pierre-Henry Watier, inspecteur général des Ponts et Chaussées, révèle les opinions contrastées de la population sur ce projet de détournement de l’Erdre : « On peut varier d’opinion sur l’esthétique des ouvrages que nous avons inaugurés et des remblaiements que nous avons visités ce matin. Par contre, la nécessité de ces travaux ne saurait être mise en discussion. Leur exécution a, en effet, été rendue inévitable par la réalisation des travaux déclarés d’utilité publique. […] Sans s’attarder à des regrets stériles, il convient de se tourner résolument vers l’avenir et de tirer le meilleur parti des terrains conquis sur la Loire et sur l’Erdre. »

En 1938, l’Erdre est comblée du pont Morand détruit à sa confluence avec la Loire.

Noémie Boulay
Direction du patrimoine et de l’archéologie, Ville de Nantes/Nantes Métropole
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