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Ancienne maison patronale de l'usine Avril et Fiteau Pont transbordeur

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Restaurants municipaux pendant la Seconde Guerre mondiale


La Seconde Guerre mondiale est marquée par une augmentation significative du nombre de restaurants municipaux à Nantes. Ces établissements publics apportent un secours alimentaire à une population qui se paupérise en temps de guerre et de conjoncture économique défavorable.

Une cohabitation parfois difficile

En 1925, 25 secrétaires de la Bourse du travail assistent au repas donné à l'occasion de l'inauguration du onzième restaurant municipal nantais, le restaurant Pierre-Landais. La présence de syndicalistes à cet événement est particulièrement symbolique. Comme l’explique Leroux, l’adjoint au maire de la municipalité Bellamy, il s'agit de « rendre agréable pour les ouvriers le lieu où, par ailleurs, ils pourront se restaurer à bon compte et ainsi faire disparaître l'aversion des ouvriers pour le restaurant municipal où jusqu'ici régnait, il faut le reconnaître, une promiscuité un peu gênante ». Le journaliste de Ouest-Éclair qui suit l’événement ne s’embarrasse pas autant d’euphémismes : « C'est un fait que jusqu'ici, dans leur fierté parfaitement légitime, les ouvriers réguliers n'aimaient pas s'asseoir au restaurant municipal, près de pauvres diables trop minables, des sans-domicile, des sans-ressources normales, souvent de lamentables déchets, incapables de se relever ». Dans la longue histoire des restaurants municipaux nantais, cette question de la mixité sociale entre « ouvriers réguliers » et « pauvres diables » sera fondamentale et récurrente. Ce n’est en réalité qu’en période de crise économique ou de guerre que ces deux publics cohabitent.

Une activité accrue en temps de crise

En 1932, quand la crise de 1929 dite aussi de Wall street atteint son pic, le nombre de repas servis par les restaurants municipaux est presque multiplié par 10 par rapport à l’année précédente (80 000 contre 8 000 environ), mais les clients payants ne représentent qu’une infime minorité des usagers. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le nombre de restaurants municipaux passe de 11 en 1940 à 17 en 1942. Ils sont situés place de Bretagne, place Saint-Similien, rue Ampère, rue d’Alger, rue d’Allonville, rue de Bel-Air, rue de la Pelleterie, rue de la Tour d’Auvergne, rue de Tréméac, rue du Marchix, rue Fénelon, rue Fouré, rue Henri-Cochard, rue Jules-Verne, rue Ouche de Versailles, rue Vilars et rue Pierre-Landais. Le nombre de repas distribués double en 1 an en atteignant 20 000 à 25 000 par jour en 1942, pour une population avoisinant les 200 000 personnes avant les bombardements de septembre 1943. Cette nouvelle « clientèle » se différencie de celle des années 1930. On y trouve désormais aussi des petits rentiers ruinés par l'inflation ou des « classes moyennes » paupérisées par le chômage qu’on désigne déjà comme « nouveaux pauvres » ou « misères cachées ». Face à cette nouvelle donne, l'assistance s'adapte et s’organise de manière plus collective, ainsi que le préconise un journaliste du Phare de la Loire : « Les “nécessiteux” ne sont plus exclusivement ceux qui sont dépourvus de moyens pécuniaires. L'assistance ne doit pas revêtir les formes anciennes de l'aumône ou de la charité plus discrète. Elle doit s’élargir jusqu'à porter secours à ceux qui, socialement, pouvaient être classés parmi les heureux, mais qui maintenant ne peuvent toujours manger à leur faim ni se vêtir suffisamment, tout simplement parce que les modes de distribution individuelle de denrées, ou de vêtements, sont aujourd'hui inopérants. On en vient logiquement à la répartition collective, à l'entraide sociale. Cela suppose beaucoup d'imagination, et de cœur constamment en éveil, et la rupture avec certaines habitudes, certaines formes administratives périmées ».

Le secours alimentaire pendant la Seconde Guerre mondiale

Pendant la guerre, l’augmentation du nombre de restaurants se conjugue avec une diversification de la distribution alimentaire. Le service des restaurants municipaux approvisionne également les cantines scolaires, ouvertes désormais aux enfants des écoles confessionnelles et des orphelinats (6 000 en 1942), les cantines d’usine (16 de manière continue et 15 autres plus irrégulièrement), le camp de travail, la prison, etc. Au total, 103 lieux différents sont ravitaillés par les restaurants municipaux qui nourrissent aussi en casse-croûtes voire en repas chauds les différents groupes qui interviennent après les bombardements pour déblayer les ruines et procéder aux sauvetages : miliciens, engagés des chantiers de jeunesse, policiers et gendarmes, mineurs et pompiers, etc. Cette intense activité s’inscrit dans le contexte plus général de pénurie alimentaire qui dure bien au delà de la Seconde Guerre mondiale partout en France. Des associations anciennes comme les conférences de Saint-Vincent de Paul y consacrent désormais l’essentiel de leur activité ainsi que le gigantesque Secours national (près de 15 000 salariés, un budget équivalent à 3 % du budget de l’État français, hors emprunt, en 1943) rebâti au début de la guerre pour venir en aide aux victimes civiles de la guerre. Ce dernier, dirigé en Loire-Inférieure par le futur président du Conseil général Abel Durand, est bien présent à Nantes. Cependant, il ne distribue pas directement de nourriture mais vient en aide aux structures très variées qui s’en occupent comme les Assistants du devoir patriotique, filiale du Parti social français du colonel de la Rocque, les sœurs de Saint-Vincent de Paul ou la popote de la préfecture, par exemple.

Placos versus Rescos

De manière générale, la manière de nourrir se transforme pendant l’Occupation allemande, en tout cas dans les villes, et à Nantes notamment. Comme il n’y a pas grand-chose dans les magasins et qu’il faut faire des queues interminables pour acheter les rares denrées qui sont disponibles, l’accès à la nourriture se socialise avec les comités sociaux d’entreprise, renommés « comités patates » par la population, le développement des cantines d’usine ou la place de plus en plus importante occupée par les jardins ouvriers dans les espaces urbains, à Nantes comme ailleurs. Cette « collectivisation » déplaît fortement à certains mouvements familiaux  qui y voient « le danger grave de disloquer encore davantage les familles » et recommandent plutôt une répression accrue du marché noir, une meilleure publicité des sanctions, le parrainage de « familles déshéritées » de la ville par des familles rurales et le développement de l'approvisionnement familial. Leurs revendications trouveront écho auprès de 51 hôtels-restaurants et 42 charcutiers nantais qui, en janvier 1941, dans un souci affiché de « préservation de l’unité familiale » proposeront de délivrer un plat unique à emporter à domicile. Si cette expérience dite des Placos (versus Rescos) sera exportée dans d’autres villes de France, elle restera plutôt limitée à Nantes. Les contraintes de transport des denrées et de barèmes, écartant du système la plupart des ouvriers, se conjuguent en effet pour circonscrire à environ 2 000 le nombre des bénéficiaires en mars 1943, soit nettement en-dessous des prévisions.

Le déclin des restaurants municipaux

La période de la Seconde Guerre mondiale représente l’acmé de l’activité des Restaurants municipaux nantais. Leur nombre décline ensuite en effet de manière continue. Dès 1948, les fermetures touchent progressivement ceux implantés dans les quartiers les plus huppés de la ville. En 1960, ils ne sont que sept à rester ouverts. En 1974, deux. Et, en 1980, il n’en reste qu’un : le restaurant Pierre-Landais, toujours actif aujourd’hui. À chaque fois, la décision de fermeture est justifiée par une baisse de la fréquentation, en particulier celle des clients payants. De fait, en 1960, sur les 700 rationnaires habituels, 400 seulement paient le prix pratiqué, les autres bénéficiant de la gratuité grâce aux bons délivrés par le bureau d'aide sociale.

Cette baisse de fréquentation a elle-même des raisons variées. Il y a d’abord la vétusté des restaurants. En 1945, une élue de l'Union des femmes françaises, association proche du Parti communiste, intervient dans une réunion du conseil municipal pour dénoncer « l'état lamentable des Restaurants municipaux [qui] sont presque totalement dépourvus de vaisselle, ce qui oblige leurs usagers à fournir des récipients plus ou moins hétéroclites, souvent même des boîtes à sardines ; les tables et les bancs sont d'une telle vétusté qu'ils ne tiennent debout que par l'habitude ». Constat reconnu par la majorité municipale, notamment sur l’état du mobilier qu’elle met au compte de la cherté du bois. Un autre facteur tient au développement des moyens de transport, notamment les vélomoteurs – dits aussi « bicyclettes à moteur » –, qui permettent aux ouvriers des chantiers de rentrer déjeuner à domicile, à une époque où la pause de midi durait souvent plus de deux heures. Une dernière raison, plus tardive, tient au développement des restaurants privés – souvent des cafés qui proposent de la restauration à midi près des Chantiers et qui profitent de l’apparition des journées « bloc » – qui réduisent la coupure de la mi-journée pour concurrencer les cantines d’usine un peu en déclin.

Il a aussi existé des restaurants municipaux dans d’autres villes françaises, mais faute d’étude générale ou même simplement comparative, il est difficile d’en parler. À Nantes, en tout cas, ce service a joué un grand rôle dans la vie quotidienne des habitants, surtout dans les périodes les plus sombres.

Jean-Pierre Le Crom
2022

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En savoir plus

Bibliographie

Jean-Noël Retière, Jean-Pierre Le Crom, Une solidarité en miettes. Socio-histoire de l’aide alimentaire des années 1930 à nos jours, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2018

Pages liées

Restaurants coopératifs pendant la Première Guerre mondiale

Dossier : histoire des solidarité à Nantes

Tags

2e GM Alimentation Ouvrier Solidarité Travail

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Rédaction d'article :

Jean-Pierre Le Crom

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