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Charles Brunellière (1847 - 1917) Temples

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Résistance aux chantiers Dubigeon


Dans le Ouest-France du 18 novembre 1949, on pouvait lire le détail du lancement du sous-marin Andromède. Il est fait état de la vedette des chantiers et des remorqueurs des Abeilles manœuvrant le sous-marin devant Trentemoult, pour le conduire au quai d’armement devant « une foule énorme, massée sur les chantiers et sur la promenade et les plages de Trentemoult ».

L’Andromède et son sister-ship l’Astrée, lancé un an plus tôt, sont des symboles de ténacité et de résistance de la part du directeur des chantiers, des ingénieurs, des contremaîtres et des ouvriers des chantiers Dubigeon. Ils empêchèrent que deux bâtiments ne tombent aux mains de la kriegsmarine allemande et n’aillent grossir les rangs des unités submersibles ennemies. Encore aujourd’hui, il s’agit d’un épisode méconnu de la résistance.

Une commande interrompue par la guerre

L’Andromède et l’Astrée font partie d’une série de huit bâtiments de même tonnage dont la commande fut faite à partir de 1938 aux chantiers Dubigeon et dont la construction fut suspendue en juin 1940. Cette série de sous-marins type Aurore fut commandée dans plusieurs chantiers navals français. La commande de ces sous-marins de 73 m de long, 6,30 m de large et 900 tonnes, a pour objectif de moderniser la flotte sous-marine française.

Lorsque les Allemands approchent de Nantes en juin 1940, les sous-marins sont à différents stades de construction. La coque de l’Astrée était aux trois quarts rivée, celle de l’Andromède en cours de montage, et les pièces de la Corneille ainsi que la Clorinde, usinées. La construction des quatre autres sous-marins n’a pas encore commencé. Le matériel d’équipement des submersibles cependant avait été livré et entreposé en magasin.

De l’art de faire traîner les choses…

Aux chantiers Dubigeon, quand on apprit que la Wehrmacht allait occuper Nantes, il est décidé de tout faire pour éviter aux unités en construction de tomber aux mains de l’ennemi.

Le directeur, M. Leroux, fait aussitôt suspendre les travaux et donne l’ordre de détruire les plans d’exécution à l’exception de certains documents qui furent soigneusement cachés. Près de 4500 tonnes de produits métalliques et cuivreux de grande valeur sont dissimulés.

Les services de surveillance allemands de la kriegsmarine ordonnent la poursuite des travaux sur les sous-marins. « Impossible, leur répond-on, les plans ont été détruits ». M. Leroux fait quelques temps la sourde oreille mais, les Allemands revenant à la charge, il leur déclare qu’il attend un ordre écrit du gouvernement français et invente milles prétextes pour ajouter à la lenteur de son travail. Les autorités d’occupation menacent alors les membres de la direction et les ingénieurs de « mesures spéciales ».

Au bout de quelques mois, l’ordre n’étant pas arrivé, les représentants de la Kriegsmarine envoient M. Leroux chercher l’autorisation à Vichy dont il revient bredouille. On lui a dit en haut lieu que la question a été soumise à la commission d’armistice de Wiesbaden et qu’il faut attendre sa décision.

Les Allemands s’inclinent et le temps passe.

Du démontage…

Fin 1941, l’accord si longtemps réclamé finit par arriver et les représentants de la kriegsmarine donnent l’ordre au directeur des chantiers de relancer la fabrication de l’Astrée tandis que les trois autres sous-marins sont démontés. La direction des chantiers décide alors que la priorité est le démontage des sous-marins les moins avancés. Ce démontage se fait très lentement et habilement par les ouvriers afin que les pièces principales puissent être récupérées. Ainsi au lieu de découper les tôles en aciers spéciaux au chalumeau, les ouvriers percent les rivets, récupérant les morceaux d’acier. Ils mettent aussi à l’abri l’appareil moteur.

A partir de 1942, il devient possible d’invoquer des motifs d’ordre techniques faisant obstacle à la reprise des travaux : manque de plans d’exécution, manque de matières dont l’approvisionnement devient de plus en plus difficile et surtout manque d’effectifs spécialisés, les ouvriers étant employés sur d’autres commandes, ou retenus prisonniers.

…au sabotage

Il est alors décidé par les Allemands la démolition de l’Astrée. Le service de surveillance offre même au chantier le concours des équipes de démolition allemandes. La direction des chantiers a toutes les peines du monde pour faire abandonner ce projet et s’engage à fournir un programme de démolition détaillé qui n’est bien entendu pas réalisé.

Les matériaux utilisés pour la fabrication des submersibles devant en outre être livrés aux Allemands, les chantiers Dubigeon remettent à la place des pièces détachées sans valeur, tandis que les pièces authentiques sont conservées, cachées et tout cela sous l’œil de la « commission de surveillance allemande ». La commission spéciale devenant de plus en plus dangereuse, une partie du matériel dissimulé est transférée aux Fonderies de Pontgibaud à Couëron.

À force de ruses du même genre, les choses traînent jusqu’aux premiers bombardements alliés. Les sous-marins sont alors classés parmi les « matériels pouvant servir à l’armée allemande » et camouflés pour éviter d’être détruits. Ils échappent donc aux bombes comme ils ont échappé aux convoitises allemandes.

Le temps de la reconstruction

À la libération, les plans sont exhumés et remis au gouvernement provisoire, la construction reprend. Les sous-marins les plus avancés sont achevés et lancés en service rapidement. L’Astrée est lancé le 4 mai 1946 et mis en fonctionnement actif en mai 1948.

Un an plus tard, l’ingénieur-général Kahn, représentant du ministre Raymond Laurent, venu présider au lancement de l’Astrée, adresse ses plus chaleureuses félicitations au personnel du chantier Dubigeon qui a réalisé ce sauvetage improbable. Grâce aux précautions prises par ses « démolisseurs », l’Andromède est lancé le 17 novembre 1949 et bénéficie de perfectionnement par rapport à l’Astrée.

En reconnaissance des services rendus par les Chantiers Dubigeon pour la conservation des sous-marins Astrée et Andromède, la Marine Nationale confie au chantier la construction du sous-marin Artémis qui avait été commencée en 1939 aux chantiers Augustin Normand du Havre.

Ces sous-marins constituent les sous-marins de transition entre les sous-marins d’avant-guerre et une génération de bâtiments plus modernes.

Elise Nicolle
Maison des Hommes et des Techniques
2020

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