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Procès dit des « Quarante-deux »


Le 15 janvier 1943, le Palais de justice de Nantes, place Aristide Briand, est le théâtre du premier procès des résistants communistes nantais. En réalité, ce sont 45, et non 42, Francs-tireurs et partisans (FTP), comme se nomment ces résistants, qui sont traduits devant un tribunal militaire allemand. 

Répression anticommuniste 

Aux quarante-deux traqués et pris dans des rafles par la police de l’État français,  durant l’été et l’automne 1942, sont joints, dans les jours qui précèdent l’ouverture du procès, trois autres membres de l’Organisation Spéciale (l’OS), l’appareil militaire clandestin du Parti communiste, dont deux figures de la résistance nantaise : Gaston Turpin et Louis Le Paih, le responsable interrégional de l’OS. La mise en scène spectaculaire, les motifs et le déroulement du procès montrent, à l’instar de ceux du Palais-Bourbon et de la Maison de la Chimie, neuf mois plus tôt à Paris, les choix de la puissance occupante. Jusque-là, seuls des avis placardés dans les rues faisaient savoir qu’elle avait fusillé tel otage ou tel résistant. Pour ce procès, les juges allemands quittent leur tribunal de la rue Sully pour un lieu emblématique de la justice française, lui conférant un retentissement national et une charge symbolique forte. Celle-ci signifie la « France à l’heure allemande » mais aussi la priorité donnée à la répression anticommuniste. Les Allemands cherchent à frapper l’opinion traumatisée depuis l’exécution des 48 otages, en majorité communistes, à Châteaubriant, localité proche de Nantes, à Nantes et à Paris le 22 octobre 1941, à détourner vers les accusés la responsabilité des fusillades d’otages qui se multiplient dans le pays et à « couper les mains » armées des FTP nantais, comme le proclame au procès, en allemand, le procureur Gottlieb, figure marquante de la justice militaire allemande en France.

Sabotages et exécutions

Les chefs d’accusation visent la soixantaine d’actes de guérilla urbaine exécutés, entre fin novembre 41 et octobre 42, par quatre groupes de FTP sous les ordres du rezéen Marcel Brégeon. Si les sabotages détruisent pylônes électriques, lignes téléphoniques, matériels industriels, voies ferrées, officines collaborationnistes, les attentats attestent que la lutte clandestine exécute des soldats allemands. En septembre, un commando, composé de Eugène Le Bris et Louis Le Paih,  libère même l’un des siens, Raymond Hervé, dans le cabinet du juge Le Braz à l’intérieur du Palais de justice de Nantes. Le juge est tué. Hervé sera repris à Lorient à la suite de l’attaque de la recette des PTT de Lanester et Le Bris capturé par le commissaire Soutif, de Quimper, après une traque à Lanriec, près de Concarneau.  

Le procès révèle les complicités idéologiques de certains policiers nantais qui livrent à l’ennemi les résistants après les avoir torturés. L’accord de collaboration policière signé en juillet 42 entre occupants et État français intensifie à Nantes la collusion entre le Service de répression des menées antinationales - où s’illustre le commissaire Fourcade - et la Sûreté allemande (Sipo-SD). Fin juillet, 147 personnes, dont des républicains espagnols, sont arrêtées et les suspects interrogés  dans la salle dite « des aveux spontanés » du commissariat de la rue Garde-Dieu. 

Fusillés en 1943

L’évasion d’Hervé déclenche 113 nouvelles interpellations. La justice allemande décide alors de mener elle-même l’instruction et, en novembre, les accusés sont transférés au quartier allemand de la prison Lafayette. 37 sont condamnés à mort le 28 janvier 1943 et fusillés au champ de tir du Bêle, l’un d’eux à trois mois de prison et sept seront déportés dont les femmes du groupe, les nantaises Renée Losq et Marie Michel. Le quotidien collaborationniste nantais Le Phare de la Loire titre son compte-rendu du procès : « La civilisation occidentale épure… ».

Oubliés puis commémorés au Bêle

Vivante à la Libération, la mémoire des « Quarante-Deux » et du procès s’efface dans le contexte de la « Guerre Froide ». La construction mémorielle du PCF, le « parti des fusillés », célèbre en priorité, à l’échelon national, la mémoire des 27 otages, eux aussi tous communistes, fusillés dans la carrière de la Sablière à Châteaubriant et comptés parmi les « 48 otages » du 22 octobre 1941. Si à Rezé, commune de la banlieue nantaise, les noms des huit rezéens condamnés lors du procès sont donnés à des lieux publics dès la Libération, à Nantes, le « Boulevard des Martyrs Nantais de la Résistance » voue leurs camarades à l’anonymat.  L’obstruction des municipalités nantaises dirigées par Henri Orrion et André Morice aux commémorations demandées par les associations mémorielles et les familles, scelle une occultation puis l’oubli du procès jusqu’aux années 2000, au début desquelles la municipalité dirigée par Jean-Marc Ayrault décide, à l’initiative du Comité départemental du Souvenir, de commémorer, chaque année, le procès et la résistance armée communiste nantaise au Bêle, aux dates anniversaires des différentes fusillades.

Marc Grangiens
Extrait du Dictionnaire de Nantes
2018
(droits d'auteur réservés)

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En savoir plus

Bibliographie

Belser Christophe, Bloyet, Dominique, Nantes et la Loire-Inférieure : les années noires, Patrimoines médias, Prahecq, 2014

Haudebourg Guy, Nantes, 1943 : fusillés pour l'exemple, Geste, La Crèche, 2014

Sesmaisons Yves de, « "Justice" allemande expéditive et inexorable : le procès des 42 (15 au 28 janvier 1943) », dans Une Nantaise dans la Résistance : Yolaine des Sesmaisons, 1940-1945, Coiffard, Nantes, 2003

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Rédaction d'article :

Marc Grangiens

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