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Perturbations dans les théâtres nantais au 18e siècle


Les dossiers de la Police des Spectacles, conservés aux Archives de Nantes, offrent un aperçu privilégié des perturbations qui ont eu lieu dans les théâtres nantais au 18e siècle. Ils contiennent des procès-verbaux décrivant toutes sortes d'interruptions provoquées par les spectateurs, les comédiens, les musiciens, et les metteurs en scène.

Archives et histoire quotidienne des spectacles

Pour les amateurs de petits scandales de la vie quotidienne, les séries FF des Archives de Nantes contenant les procès-verbaux de la Police des Spectacles représentent une ressource intrigante. En feuilletant les pages jaunies de cette série, on trouve toutes sortes d'activités : des comportements farcesques, des interruptions bruyantes, des bagarres violentes, et de l'escroquerie. Chaque procès-verbal nous donne un instantané d'une soirée, d'un moment dans l'histoire du théâtre nantais où les particuliers reçoivent leur quart d’heure de gloire. À partir de ces textes, on peut reconstituer le public du théâtre, le répertoire des pièces jouées, et le genre de perturbations causées par les individus. Cette série contient une mine d’informations à exploiter.

Voici quatre types d'interruptions : les comédiens absents, les jeunes hommes obsédés par une comédienne, les interruptions bruyantes et farcesques, les scandales et escroqueries, et les bagarres devenues violentes.

Comédiens absents

Les officiers de police signalent parfois un retard attribué au directeur, au souffleur ou aux comédiens. Les officiers enquêtant sur l'absence d'un particulier se permettent de se rendre chez la personne absente. Le 6 août 1785, par exemple, la comédienne Mlle Guerin reçoit la visite des officiers de police parce qu'elle s'est absentée du théâtre en raison d'une maladie. Les officiers notent cependant que Mlle Guerin semble en bonne santé. Ils l'ont trouvée « habillée autrement qu'une malade ». Ils lui ont finalement expliqué que le directeur du spectacle, le Sieur Longo, n'exigeait que sa présence, car le personnage qu'elle devait jouer n'était qu'un « rôle muet » dans le Mariage de Figaro (FF 283, f. 24). Ce type de perturbation montre à quel point les officiers surveillaient les comédiens, et étaient impliqués dans la gestion du spectacle.

Les jeunes hommes : amoureux, insolents ou sexistes ?

Une perturbation récurrente concerne la réaction des jeunes hommes face aux comédiennes. Plusieurs procès-verbaux racontent le sifflement d’un jeune homme du parterre à une comédienne. Le 21 janvier 1777, le sieur Cadou, accompagné de deux jeunes gens, aurait sifflé l’actrice Granger pendant une représentation de la pièce L’Anglais à Bordeaux. Ensuite, il lui aurait dit qu’il « venait de siffler sur elle, parce qu’elle le méritait pour des causes qu’il savait » (FF 283, f. 9). Ce genre d’interruption révèle une dynamique qui existait entre le parterre, rempli de jeunes hommes, et les comédiennes qui subissaient parfois du harcèlement.

Interruptions bruyantes et farcesques

On trouve dans ces archives des anecdotes assez drôles qui transforment parfois le caractère ou le ton de la mise en scène. Le 12 septembre 1786, le sieur Carret, un capitaine nantais, s’est assis sur l'un des premiers bancs de la grande salle, rue du Bignon-Lestard. Il avait devant lui une barrique « servant à la pièce du Tonnelier ». Pendant la neuvième scène, le personnage Fanchette dit à Colin : « Tiens, voilà un gâteau et une bouteille de vin dont Magdeleine m’a fait présent », et a ensuite « posé son panier » sur la barrique. Le sieur Caret, en voyant ce panier, « en a ôté une brioche », ce qui a suscité des claquements et des sifflements du parterre. Cerise sur le gâteau, un spectateur aurait dit : « Ah le gourmand » (FF 283, f. 26).

Les officiers de la police témoignent de toutes sortes de perturbations : des spectateurs qui dansent sur le plateau avec les acteurs, qui ôtent la perruque d’un comédien, qui jouent des « trompettes que l’on achète à la foire nantaise » pendant le spectacle, ou qui jettent des raisins depuis les loges sur le parterre. En bref, certains procès-verbaux donnent une image chaotique et bruyante de l’auditoire.

Escroquerie

Certaines soirées se terminent parfois par un scandale qui peut aller jusqu'à l'escroquerie. Lors d'une représentation des pièces Le Déserteur et L'Amant jaloux, les officiers de police ont constaté une affluence de spectateurs. Pour ce spectacle organisé au profit d’une comédienne, la demoiselle Lebrun, cette dernière aurait tiré un bénéfice d’une vente excessive de billets. Les officiers, l'ayant interrogée, se sont rendus compte qu'elle avait distribué trop de billets (FF 283, f. 16).

La vente excessive de billets de Lebrun semble banale à côté du tumulte du 11 décembre 1778. Le Commissaire de police, François Fleur d'Épée, est arrivé au spectacle pour maintenir « le bon ordre et la décence » (FF 116, f 8). Accompagné de deux individus, le Sieur Château, conseiller à la Cour des Aides et habitant de la paroisse Saint-Clément, aurait interrompu un spectacle de « sauteurs, danseurs représentant des ballets et pantomimes » parce que le parterre avait peu d’estime pour le talent des danseurs. Afin de remplacer cette danse médiocre avec une comédie appréciée par le public, le Sieur Château a ensuite demandé à parler avec le directeur de la troupe, le Sieur Desmarets, tout en insultant le Sieur Desmarets – le traitant de directeur des Baladins. Une femme de la troupe de ces danseurs « a voulu parler : mais en [a] été empêchée par » les cris du parterre. Le Sieur Delisle, régisseur de la troupe ordinaire de la comédie, s'est excusé en disant qu'il « ignorait la capacité de ces danseurs ». Le Sieur Château a ensuite demandé un remboursement des billets et le parterre a exigé une représentation de la comédie intitulée La Soirée des Boulevards. À la suite de cette suggestion, les spectateurs ont pris la boîte contenant les billets et plusieurs particuliers ont volé des billets de parterre et de secondes loges.

Violence

Tout au long du 18e siècle, la Police des Spectacles rapporte plusieurs bagarres qui éclatent pendant les représentations théâtrales. En 1714, « des étudiants en droit ont sorti leurs épées et blessé un garde du Maréchal d'Estrées pendant la comédie, ce qui entraîne l'interdiction temporaire de « tout spectacle » (FF 283, f.1). Outre ces étudiants turbulents, la série FF fait également référence à un « Américain » belliqueux, le Sieur Antoine Didier Bellanger, né à Saint-Domingue en 1755. Ce jeune homme d'une vingtaine d'années, assistant à une représentation dans la salle de spectacle de Nantes, a « donné un coup de coude dans l'estomac du substitut du procureur général du roi de Nantes » (FF 116, f.18). Ensuite, M. Bellanger aurait marché sur le pied du substitut du procureur général et aurait déclaré qu'il « lui marcherait sur les pieds toutes les fois qu'il en aurait l'occasion » (FF 116, f.18). Ces éclairs de violence éclatent au milieu d'un spectacle, et perturbent l'ordre dans la salle. Avec l'anecdote d'Antoine Didier Bellanger, on peut peut-être percevoir le désir des colons français de réduire l'emprise du pouvoir royal.

Ce compte-rendu des dossiers de la Police des Spectacles est loin d'être exhaustif. Par exemple, on peut trouver des séries qui contiennent les autorisations des bals publics (FF 267). Ces documents correspondent aux demandes d’autorisation faites par les directeurs des spectacles au maire ou à la police pour donner des bals masqués et parés pendant le carnaval (au mois de janvier et au mois de février). Les dossiers associés à la Police des Spectacles sont fascinants car ils nous offrent un aperçu des salles de spectacle bruyantes où les spectateurs turbulents perturbent l'illusion théâtrale.

Scott M. Sanders
Maître de conférences à l’Université de Dartmouth (États-Unis)
2023

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