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Cimetière de Miséricorde Esclaves

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Boutique


La boutique est intrinsèquement liée à la pratique commerciale. C’est dans ce local que l’on vend, achète, échange ou négocie, aussi bien les prix que la marchandise. Rôle utilitaire, la boutique est aussi un lieu de sociabilité. Si aujourd’hui elle a tendance à s’opposer aux grandes surfaces voire à disparaître, elle fut pendant longtemps un espace incontournable du commerce.

Qu’est-ce qu’une boutique ?

Apparu au 13e siècle d’abord dans le sud de la France sous sa forme provençal « botica », le mot dériverait du grec « apothêkê » qui signifie « lieu de dépôt, magasin ». Ce mot générique ne renvoie pas alors à une forme architecturale unique et spécifique. Au Moyen Âge et à la Renaissance, la boutique  est avant tout un lieu de stockage qui n’a pas vocation à être visible du public. La vente se fait sur l’étal ou dans la rue, les  acheteurs restant à l’extérieur.

Le développement de la boutique en rez-de-chaussée avec devantures, telle qu’on la connaît aujourd’hui, est une évolution récente. Au 18e siècle, le commerce de détail est en plein essor. Parallèlement, l’expansion du commerce de luxe influe sur l’apparition de boutiques et de commerces aux devantures de plus en plus soignées. En Angleterre comme en France, l’architecture commerciale se diversifie et la boutique gagne en visibilité dans le paysage urbain. Ainsi, la devanture est en façade l’expression extérieure du commerce : elle est composée de la vitrine et d’un ensemble d’éléments complémentaires tels que les murs et coffrages, les vitres, les portes, les grilles et les enseignes. Elle joue deux rôles principaux : le premier, celui de fermer le commerce à la nuit tombée et d’en protéger les effets, le second, d’attirer l’œil du passant.

Évolution de l’architecture et des devantures des boutiques nantaises

Du Moyen Âge à la Renaissance, les boutiques sont de simples arches béantes dans les murs de pierre, fermées la nuit à l’aide de volets en bois. Quelques-unes sont parfois dotées d’un étal en pierre.

Le plus souvent, l’échoppe est le prolongement de l’atelier, servant à la vente. Elle s’ouvre donc par une grande arche sur la rue et un mur d’appui lui sert de présentoir. La devanture vitrée en châssis apparaît plus tardivement, au 17e siècle et d’abord en Provence. Disposée en feuillure, il s’agit de la principale innovation pour la boutique à cette époque-ci.

La devanture en feuillure s’insère dans les baies d’origine. Le vitrage est en retrait de plusieurs centimètres par rapport au nu extérieur de la façade.

À la fin du 17e siècle, le bois disparaît peu à peu en raison des risques encourus en cas d'incendies et l’arcade en granit devient quasiment systématique. Les rues de la Juiverie, de l’Emery et de la Bâclerie à Nantes conservent encore quelques traces de ces anciennes boutiques. Durant la première moitié du 18e siècle, les importants travaux d’urbanisme et d’architecture menés par les architectes Ceineray ou Crucy n’ont pas encore débuté et la ville conserve un aspect tortueux notamment dans le faubourg Saint-Nicolas (actuelle place Royale). En 1743, les matériaux inflammables des boutiques sont dorénavant interdits. Ce règlement influence l’aspect extérieur des magasins nantais.

À partir de la seconde moitié du 18e siècle, la tendance est à l’ouverture dans les anciens quartiers de la ville. Des commerçants, pour mieux exposer leurs marchandises, demandent l’autorisation d’agrandir les baies de leurs boutiques. Cela coïncide avec l’arrivée d’une tendance plus générale qui pousse les marchands et commerçants à magnifier leur espace de vente et à user de divers moyens « publicitaires1» afin de se faire connaître et de toucher une nouvelle clientèle autre que le voisinage proche.

À la même époque, les travaux de la place Royale sont bien entamés et son organisation marque le début d’un nouveau modèle pour le commerce : les boutiques et entresols sont séparés par une platebande et ne sont plus réunis sous une même arcade comme cela se fait encore quai Brancas.

Les devantures en feuillure disparaissent peu à peu pour laisser place aux devantures en applique, déjà présentes à Paris à la fin du 18e siècle. La devanture en applique habille l’encadrement de la baie. Il s’agit le plus souvent d’un coffrage menuisé faisant saillie sur la maçonnerie.

Elles se répandent à Nantes dans les années 1830, et alors que les saillies étaient interdites, un arrêté municipal d’octobre 1833 les autorise pour les devantures ouvrant sur les trottoirs, instaurant par la même occasion des règles sur la dimension de celles-ci. En 1843, un nouvel arrêté permet cette fois des ouvertures beaucoup plus larges et plus vastes grâce à l’utilisation d’un poitrail (linteau). L’utilisation du poitrail de bois modifie considérablement l’aspect extérieur des boutiques mais aussi des entresols qui se présentent désormais comme de grandes fenêtres carrées, comme on peut le voir place Sainte-Croix.

Rapidement, les devantures décorées et les larges enseignes deviennent la norme et d’importantes disparités se créent entre des boutiques aux sobres moulures et d’autres aux vitrines d’une richesse décorative démesurée. La brasserie La Cigale en est un des témoignages les plus flagrants. 

La publicité envahit également l’espace extérieur de ces boutiques et la place Royale est recouverte d’affiches et d’enseignes monumentales. Au 20e siècle, l’Art Nouveau (1900-1920) puis l’Art Déco (1915-1930) apportent un peu de sobriété.

Quelques traces de cette période sont encore visibles sur la devanture métallique de la Société Générale place Royale ou bien avec le magasin de la Fromagerie Centrale rue Contrescarpe qui se couvre de carreaux de céramiques sous l’influence de l’Art Nouveau.

Styles et décorations des devantures

Au milieu du 19e siècle, les façades des immeubles accumulent les couches d’informations et de décoration. La catégorie de commerce est signalée sur le bandeau central, les spécialités sur les vitrines et le détail des articles sur les bandeaux adjacents. Les lettres peintes ou superposées de l'enseigne doivent être considérées comme un ornement à part entière. L’enseigne n’est pas systématiquement peinte : à la fin du 19e siècle, la technique du fixé sous-verre est très répandue, et permet de protéger les enseignes des intempéries. À la même époque, les décors de céramique se généralisent, et devient même un outil publicitaire à part entière. Beaucoup sont des décors intérieurs mais certaines façades se parent de cette faïence émaillée. Pour ces panneaux extérieurs, les carreaux de faïence sont appliqués sur les devantures en feuillure. La mosaïque s’invite même au sol et marque le seuil des boutiques, comme c’est le cas avec la chapellerie de Pierre Bouillé rue de la Fosse en 1935. Elle participe à la dynamique de remplissage de toute la surface disponible qui font de la boutique un vaste ensemble publicitaire.

Le décor d’une devanture par ailleurs doit être le plus significatif possible pour les passants, il existe donc un répertoire de motifs propre à chaque type de boutique. Au 19e siècle, pour les commerces d’alimentation par exemple, le décor privilégié est celui de la campagne idéalisée. Au 20e siècle, les références artistiques se veulent contemporaines. Le modèle principal des œuvres de l’Art Nouveau est le monde végétal offrant des compositions florales dans des formes ornementales complexes.

Les peintres remplacent les arabesques de style classique par le style « nouilles », identifiable par ses lignes ondulantes. Dès les années 1910, l’Art Déco s’installe progressivement. Cette tendance s’exprime dans un style plus sobre, changement radical provoqué par le traumatisme de la Grande Guerre. Dans les années 1930, la devanture se pare des couleurs vives du fauvisme et des formes massives du cubisme. L’utilisation de matières nouvelles comme le béton armé ou les métaux, est au service de l’industrie. La ferronnerie est déjà utilisée au 18e siècle sous forme de grille par les riches marchands afin de protéger leurs effets. Ce n’est qu’au cours du 19e siècle qu’elle commence à devenir peu à peu un élément décoratif. Composée de jeux d’entrelacs répartis sur un ou plusieurs rangs ou de rinceaux (ornements faits d’éléments végétaux disposés en enroulement successifs) et de feuillages, elle est majoritairement utilisée entre 1880 et 1930, notamment par les boucheries. Les coffrages en bois des devantures sont abandonnés au profit de structures de verre et de métal. Dans les années 1960-1970, la céramique apparaît et les enseignes lumineuses se généralisent. Le plastique remplace également le métal.

Aujourd’hui, il reste dans le paysage urbain nantais certaines traces du passé de ces commerces. Rares à Nantes pourtant sont les devantures en applique par exemple.

La préservation de ce patrimoine et la sauvegarde des devantures anciennes est primordiale. Les devantures participent à l’image d’une rue, à la perception d’un quartier, à l’identité d’un commerce. Il est essentiel de respecter en cas de travaux ou d’aménagements l’ordonnance de la façade, les principes de composition  et l’architecture originelle de l’immeuble. Il convient également d’adapter la devanture au référent architectural et de maintenir sa symétrie. Véritables héritages historiques, les boutiques, par le biais de leurs devantures, transforment et réinventent le paysage urbain propre à leur environnement et à leur époque.

1 Moyens qu’on retrouve à travers l’usage des petites publications dans les avis, affiches et annonces de Nantes, ou par l’inscription payante de l’Almanach de commerces (1776). Au 18e siècle, le bouche-à-oreille constitue encore la meilleure façon de se faire connaître : confiance et réputation prévalent. Toutefois, le désir de rendre son commerce visible s’accroît et les demandes de poser enseignes se font toujours plus nombreuses, même pour des professions libérales (dixit les sage-femmes).

Gillian Tilly
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes/Nantes Métropole
2022

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