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1764

1907 : les soupes communistes


En mars 1907, les dockers et ouvriers-charbonniers nantais se mettent en grève dans l’objectif d’obtenir de meilleures conditions de travail et une augmentation des salaires. En soutien à cette initiative, la CGT organise des distributions de repas afin de limiter les conséquences de la perte de salaire pour les grévistes et leur famille.

Du fait de l’irrégularité du trafic portuaire, la vie des dockers (appelés tantôt libres ou journaliers) est marquée par la précarité. Ils sont présents chaque jour sur les quais dans l’espoir d’être recrutés par les contremaîtres travaillant pour le compte des entreprises de manutention. Des contremaîtres qui se comportent comme de vrais maquignons, qui ont leurs têtes et ne font travailler régulièrement que ceux qui leur plaisent.

Les aléas de la conjoncture économique vident ou remplissent les quais. À côté de ces travailleurs employés par les treize compagnies présentes sur le port nantais, existe un volant d’hommes de peine, migrants de fraîche date ou vagabonds, qui constituent un véritable prolétariat en haillons. Pour eux, le travail sur les quais est une alternative : quand il vient à manquer ailleurs, c’est ici qu’ils viennent chercher de quoi se nourrir pour le jour qui vient.

Une grève contre la misère

À la mi-mars 1907, les dockers et ouvriers-charbonniers entrent en lutte. Pour les premiers, il s’agit d’obtenir de meilleurs salaires, évidemment, mais aussi le contrôle de l’embauche pour le syndicat, seul moyen d’échapper aux pratiques douteuses des contremaîtres. L’une d’elles, et la plus détestée, est l’embauche et le paiement de la journée de travail effectués dans certains bistrots « tenus » directement ou indirectement par eux, ce qui leur permet de récupérer d’une main ce qu’ils ont versé de l’autre…

Durant plus d’un mois et demi, le jeune syndicat CGT se bat pour gagner ce bras-de-fer contre l’État et les entrepreneurs. Des semaines qui seront marquées par la violence et la répression : un docker est tué par un gendarme le 17 mars, quand d’autres sont sabrés ; pas un jour sans qu’un docker ne soit jeté en prison pour avoir entravé la liberté du travail.

Des soupes pour tenir

Pour gagner leur bras-de-fer, la CGT se lance dans une aventure audacieuse : l’organisation de soupes communistes. Nourrir les dockers, tel est l’enjeu, sinon, ils seront forcés, par la faim, à reprendre le travail sur les quais ou se faire manœuvre dans le bâtiment ou l’industrie ; or il faut maintenir la pression, affirmer sa présence sur les quais pour dissuader les moins convaincus de faire les « jaunes » (les non-grévistes).

Avec le soutien logistique de Griveaud, le maire radical de Chantenay, commune de résidence de nombreux dockers, le syndicat installe les dites soupes dans la carrière de Miséry, au grand dam du maire de Nantes, Paul-Emile Sarradin. Sous des tentes, des centaines de repas sont préparés chaque jour et distribués aux dockers et à leurs familles. Il s’agit la plupart du temps d’une soupe de légumes, mais parfois la viande s’invite à table : pour déjouer l’octroi (et sa taxe), une vache est découpée en petits morceaux et transportée discrètement par les dockers jusqu’à la cantine collective. Le pain ? Il sort du four de la boulangerie coopérative qui vient d’éclore du côté de Chantenay.

Durant toute la durée du conflit, le syndicat parviendra à faire fonctionner ces soupes solidaires. Il le put grâce au soutien financier que lui apportèrent les dockers des autres ports français mais aussi à une initiative originale : la réalisation et diffusion-vente d’une série de cartes postales les représentant. En parcourant Le Phare de la Loire, le quotidien républicain, nous apprenons ainsi qu’un photographe professionnel a immortalisé le 29 mars ce rendez-vous devenu quotidien pour nombre de dockers, et le 5 avril, nous apprend Le Nouvelliste de l’Ouest, une série de dix vues est mise en vente. D’où leur est venue l’idée ? Nous ne le savons pas. En revanche, deux ans plus tôt, lors d’un conflit ayant secoué les quais nantais, ce sont les forces de l’ordre qui posaient pour la postérité pour une série de cartes postales…

Christophe Patillon
Centre d’histoire du travail
2022

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